Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
République des tables-bancs
20 juin 2013

Abécédaire : l'offre et la demande d'éducation, de la métaphore à l'emploi imprudent des mots

Offre et demande d’éducation.

 

Quand l’analyse sectorielle s’interroge sur les raisons pour lesquelles tous les enfants ne vont pas à l’école, elle décline son enquête en deux versants. Il y aurait des questions d’offre et des questions de demande.

Les questions d’offre résultent simplement de l’insuffisance des capacités d’accueil. Cette insuffisance est facile à constater, du moins à l’échelle nationale, il suffit de comparer la population d’âge scolaire et le nombre d’instituteurs multiplié par quarante, quarante-cinq ou cinquante. Les politiques à en déduire sont simples, en apparence du moins : on construit des écoles et on recrute des maîtres.

Les problèmes sont attribués à la faiblesse de la demande lorsque l’on repère que des enfants ne fréquentent pas l’école alors qu’il en existe une à proximité de leur résidence. La statistique scolaire ne permet pas de repérer des cas de ce type, tout simplement parce qu’elle ne consigne pas de données sur les lieux de résidence des enfants, surtout s’ils ne vont pas à l’école. L’analyse sectorielle se fonde en de pareils cas sur des enquêtes de ménages, sur échantillon. Ces enquêtes comportent une longue série de questions sur les conditions de vie des ménages, dont certaines sur la scolarité passée des adultes et celle présente des enfants.

Les analyses sectorielles relient les problèmes attribués à la faiblesse de la demande à des questions d’économie des ménages : l’école n’est jamais complètement gratuite et génère des frais, les enfants subissent des coûts d’opportunité lorsqu’ils peuvent se livrer à une activité utile ou rémunératrice au lieu de fréquenter la classe. On en déduit la nécessité de politiques de soutien à la demande : cantine scolaire gratuite ou rations sèches, bourses d’études.

Cette partition entre offre et demande doit cependant être questionnée. Les raisonnements auxquels elle ouvre sont un peu rapides.

Offre et demande sont deux concepts de l’économie, qui aident à penser la relation marchande et la formation des prix et des équilibres. La fréquentation scolaire réagit sans doute à des paramètres économiques, elle est donc susceptible d’être analysée avec des concepts de l’économie. Pour autant, elle ne constitue pas un marché sur lequel une offre rencontre une demande autour d’un prix d’équilibre. L’éducation scolaire est un droit dans tous les pays ayant ratifié des déclarations de droits allant en ce sens ou l’ayant inscrit dans leur légalité interne. Dans de nombreux pays, il s’agit même d’une obligation à la charge de l’enfant. Pour parler de demande, il faut donc soit considérer que les textes fondant les droit à l’éducation ou l’obligation scolaire ne sont pas très sérieux, soit admettre que la demande n’est ni spontanée ni libre, ce qui est gênant dans l’analyse de l’élasticité.

Il se peut bien sûr que la fréquentation scolaire soit sensible au coût de l’école de la même façon ou presque que la consommation d’un bien est sensible à son prix, mais la différence de taille entre les deux situations est que les scolarités sont supposées réagir à autre chose avant tout. La politique n’est pas à la recherche d’un équilibre de marché, elle peut et doit avoir d’autres moyens d’intervention que les coûts ou les compensations économiques du coût, même si elle n’a pas de raison de s’interdire d’agir sur ce levier. Si l’on pousse le raisonnement vers l’aporie, rien ne prouve que la fréquentation scolaire serait universelle si elle était rémunératrice.

Ce constat simple nous mène au deuxième pas du raisonnement de l’analyse sectorielle. Lorsque l’enfant ne fréquente pas une école qui est pourtant à proximité, nous dit-elle, le problème vient de l’enfant et de sa famille, sans doute pour des raisons économiques, et non de l’école – c’est une question de demande.

Rien n’est moins prouvé. L’école peut présenter aux yeux de l’enfant ou de la famille de multiples inconvénients qui n’ont pas de lien avec son coût. Par exemple, c’est un endroit où l’on n’apprend rien, ou si peu ; c’est un endroit où l’on se fait battre sans raison ; c’est un endroit où l’on risque de concevoir des ambitions qui ne sont pas celles de notre milieu et pourraient conduire à des comportements non souhaités ; c’est un endroit où l’on ne respecte pas la religion ; c’est un endroit où l’on subit des injustices ; c’est un endroit où l’on est racketté ; c’est un endroit dont on n’a jamais vu personne tirer profit ; c’est un endroit dans lequel la sécurité, l’hygiène et la pudeur ne sont pas respectées ; c’est un endroit où x jeunes filles sont tombées enceintes l’année dernière ; c’est un endroit où l’on vous fait honte de votre pauvreté, de votre langue, de votre famille ; c’est un endroit sale, chaud et bruyant ; c’est un endroit où il n’y a pas d’horaire et où soit on perd son temps à attendre l’ouverture soit on est en retard et puni. J’ai entendu de nombreuses fois ce genre de propos et bien d’autres du même type.

Si c’est une ou plusieurs raisons de ce genre qui s’opposent à la fréquentation de l’école, cela signifie que la demande de l’enfant ou de sa famille n’est pas trop faible. Elle est au contraire trop forte, trop exigeante pour se contenter de l’école imparfaite qu’on lui propose.

A l’inverse, il y a lieu de s’interroger sur la rétention scolaire lorsqu’elle est associée à des  signaux inquiétants sur la qualité des apprentissages. Dans tel pays où les tests montrent qu’un enfant sur quatre ne sait pas déchiffrer cinq mots en cinquième année, et qu’un sur deux ne sait pas lire « aujourd’hui c’est la fête », la rétention est pourtant bonne : cela pourrait bien signifier que la demande d’éducation est très faible, en ce sens que la population n’attend rien de l’école, ou en tout cas qu’elle n’attend pas qu’on y apprenne à lire. Et ce n’est sans doute pas un élément dont on puisse se réjouir.

Il faut prendre les mots offre et demande comme une métaphore permettant éventuellement de classer des observations, mais non comme des concepts propres à fonder une analyse des obstacles à la fréquentation scolaire et encore moins comme des concepts propres à orienter les politiques.

 

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
République des tables-bancs
  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité