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République des tables-bancs
21 juin 2013

Abécédaire : les logistiques (où il est question de peau de hérisson)

Logistiques

 

Les exigences matérielles d’une école sont peu nombreuses. Un bâtiment sommaire, un peu de mobilier, des maîtres, des livres, du petit matériel et quelques communications avec le bureau de l’éducation du coin ou la municipalité. Si on la regarde du point de vue d’un processus de travail ou de fabrication, c’est très simple, beaucoup plus simple qu’une boulangerie ou un dispensaire (les intrants sont moins nombreux, les outils moins techniques et les conditions d’hygiène moins rigoureuses).

Pourtant, ces conditions de base ne sont pas souvent réunies, dans les écoles publiques subsahariennes, elles ne le sont presque jamais toutes en même temps.

Ce n’est pas toujours l’intrant qui manque, faute d’argent. Souvent, le maître est recruté et payé, mais il n’est pas là parce qu’il n’a pas reçu sa feuille à temps ou qu’il est parti cherché sa paye à quatre-vingt kilomètres ; les livres et les tables sont payés mais stockés dans un entrepôt lointain ou une cour dont ils ne ressortiront qu’à l’état de débris ; le directeur n’a pas reçu ses instructions annuelles et n’a pas envoyé son rapport, faute de service de courrier ; l’inspecteur n’est pas venu.

C’est que si une école, c’est un processus assez simple, dix ou quinze mille écoles, c’est une autre affaire.

Aujourd’hui, les logistiques employées dans la vraie vie ne répondent pas à un plan pensé, ni à une organisation stable, elles ne dépendent pas de services techniques dédiés qui en auraient la charge.

S’il s’agit de faire voyager des informations ou des petits matériels, on emploiera des opportunités, le déplacement d’un responsable, d’un partenaire local connu ou d’un commerçant de la famille. S’il y a du volume ou du poids, avec des tables ou des livres, on fera appel aux éventuelles bonnes volontés, en espérant que les distances ne seront pas longues. Il pourra y avoir une levée de fonds plus ou moins volontaire auprès des parents. Il pourra se trouver aussi, hélas, qu’on ne sache pas faire. S’il s’agit d’argent, le pire est à craindre : pas de transport d’espèces sans perception de frais, déplacements fréquents et lointains pour percevoir les salaires – voire pire.

Il se peut que des partenaires s’en mêlent : à l’occasion d’un achat qu’ils financent, ils s’occupent aussi parfois de la distribution, parce qu’ils sont bons connaisseurs de la réalité. Malheureusement, cela ne construit pas de maîtrise des logistiques dans les ministères.

Imaginons que Starbucks rachète par erreur ou par pari un ministère subsaharien de l’éducation et transforme les écoles primaires en concessions franchisées, libres d’employer l’enseigne sous conditions de se fournir à la maison-mère en livres, tables, matériels et à respecter quelques consignes. Le lendemain, le ministère aura une nouvelle direction, chargée de la logistique (une autre aussi, chargée des encaissements, mais c’est une autre affaire qui explique qu’il n’est pas souhaitable que Starbucks rachète un tel ministère). Il faudra la créer, parce qu’elle n’existe pas, bien que la régularité des logistiques et leur routine soient la première des conditions pour faire fonctionner un système scolaire – à moins que celui-ci ne soit constitué que d’unités privées indépendantes se chargeant elles-mêmes de la question et n’ayant pas besoin de recevoir d’instructions.

C’est en effet étrange, à la réflexion, mais on n’a jamais vu de direction de la logistique dans un ministère de l’éducation, alors que chacun éprouve au quotidien les conséquences de leur faiblesse. 

Il ne faudrait pas attendre d’une direction de la logistique qu’elle résolve du jour au lendemain toutes les questions de livraison de matériel, d’information ou d’argent. Les problèmes peuvent être redoutables si la population est dispersée, les écoles nombreuses et petites, les routes et les banques rares et chiches, la géographie hostile.

Il lui faudra résister à la tentation de devenir un monstre qui voudrait qu’il y ait des camions et des bateaux, des garages et des entrepôts administratifs dans tout le territoire, un service postal et une banque à l’intérieur du ministère et de ses bureaux locaux. Il lui faudra au contraire étudier comment font les commerçants, les voyageurs et les sociétés privées, négocier et comparer, déléguer, sous-traiter, s’informer et informer. Il lui faudra aussi batailler dur sur la question de la dépense courante hors salaire, la dépense de fonctionnement, celle pour laquelle les porte-monnaie du trésor public sont cousus en peau de hérisson. Il lui faudra attirer les bailleurs de fond, qui aiment tellement les résultats directs qu’ils se feront aussi tirer l’oreille. Mais peut-être que si ce n’est pas elle, un jour plus lointain, Starbucks rachètera les écoles et s’en chargera seule, qui sait ?

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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