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République des tables-bancs
27 juin 2013

Abécédaire : la cantine

Cantine

Ouvrir une cantine gratuite à l’école est supposé favoriser la fréquentation scolaire des enfants les plus pauvres. C’est une mesure présentée dans les politiques sectorielles au double titre de l’accès et de l’équité. Financer la cantine est une réponse à l’hypothèse des analyses sectorielles selon laquelle la demande scolaire doit parfois être soutenue, puisqu’il y a des enfants qui ne fréquentent pas l’école qui existe pourtant à proximité de chez eux. Nous avons vu dans l’article « offre et demande d’éducation » de cet abécédaire que cette analyse peut ne pas être prise pour argent comptant, si l’on ose dire, retenons la cependant comme point de départ d’une réflexion sur la cantine.

Rien n’est plus difficile que d’instaurer la gratuité de l’école primaire. Cela tient à la nécessité pour l’école de disposer de petits budgets courants (pour quelques consommables et un peu de maintenance, au moins) dans un système qui ne sait pas porter ce genre d’argent jusque dans ses périphéries. La question de la dépense courante hors salaire, si difficile et elle aussi évoquée dans cet abécédaire, est centrale dans la problématique de la gratuité.

Or, il se trouve qu’il est plus facile, au moins à ce qu’il semble, de financer des cantines que des écoles. En effet, les bailleurs de fond acceptent sans se faire tirer l’oreille de réserver une part de leurs budgets d’aide à la nutrition, ça se justifie toujours par des motifs de toute sorte qui semblent frappés au coin du bon sens. La logistique, la distribution et la comptabilité des cantines sont confiées à des opérateurs, qui rendent plus ou moins compte, ex post, de leur travail au gouvernement. Tout cela est bien plus simple que de rendre les écoles gratuites et l’effet escompté est plus ou moins le même.

Comme politique de substitution à une autre plus complexe, le financement de cantines gratuites peut présenter un intérêt stratégique : en attendant d’être capable de rendre l’école gratuite, on offre la cantine. Mais la mesure ne prend ce sens stratégique que si elle est provisoire et si le temps est mis à profit pour développer toutes les étapes nécessaires à la réalisation de la gratuité de l’école. (Sur ces étapes, on pourra consulter le très utile Six Steps To Abolishing Primary School Fees, de School Fee Abolition Initiative, 2009). Malheureusement, le financement des cantines n’a pas son pendant stratégique dans les plans, qui serait de démarrer le travail sur la gratuité, et la mesure est reconduite de programme en programme.

Pendant tout ce temps, la cantine produit quelques effets indésirables. On connaît l’effet d’éviction, qui vide une école et en remplit une autre jusqu’à l’asphyxie quand une cantine ouvre dans la seconde et non dans la première. On sait aussi que l’effet de la cantine sur la fréquentation scolaire est en fait quotidien et non de moyen ou de long terme, de sorte que si la cantine ne fonctionne pas chaque jour scolaire, l’effectif des classes devient fluctuant et l’année déjà courte se rétrécit encore pour beaucoup d’enfants. Or, il est plus courant d’avoir des cantines qui ne fonctionnent que pendant une partie de l’année, pour de multiples raisons insuffisamment explorées. On a vu enfin des cantines désorganiser les classes, en particulier si les horaires de l’école ne sont déjà pas très stables et si les locaux ne sont pas adaptés à ce service.

Bien entendu, la finalité de la cantine n’est pas seulement scolaire. Une crise alimentaire justifie une mesure de ce genre et bien d’autres. Mais dans ce cas, l’école devient le bon moyen d’atteindre les enfants  pour les nourrir (il en va de même s’il s’agit de les vacciner), et non la cantine un moyen de les faire venir à l’école. Observons aussi que la fourniture d’aliments n’est dans ce cas qu’une réponse d’urgence qui ne devrait pas s’installer dans le temps sauf à créer de lourds effets secondaires sur les marchés locaux, observons surtout que nous sommes plus là dans une politique sectorielle de l’éducation. La fourniture gratuite de la cantine prendra sa place dans une politique économique et alimentaire avec des volets de promotion agricole, d’appui au transport ou de soutien aux prix, qui devront la relayer le plus vite possible.

Dans une politique scolaire, la cantine pourrait jouer d’autres rôles que celui, mal argumenté, de soutenir la demande.  Si la cantine est intégrée dans les bâtiments et si son service est quotidien du premier au dernier jour de l’année scolaire, elle peut rendre possible des horaires un peu plus longs ou un périmètre de recrutement un peu plus grand, ce qui a beaucoup d’intérêt en zone de très faible densité de population. Elle peut permettre, par son mode de gestion, de créer une relation quotidienne entre l’école et la communauté, ce qui peut être très riche surtout si des questions d’argent et de budget se nichent dans cette relation. Elle peut devenir une richesse pédagogique, soit pour l’apprentissage de questions d’hygiène, d’alimentation, de calculs de prix, soit par la distribution permanente de rôles d’intérêt collectif entre les enfants. On voit là tout le poids que la cantine pourrait avoir dans un travail contre les préjugés sexistes : qu’une fille fasse un jour sur deux les comptes, pendant que deux garçons s’appuient la vaisselle.

Des justifications de ce genre ne placent forcément pas la cantine sur le terrain d’un substitut à la gratuité de l’école. Les deux questions deviennent distinctes et chacune pourra ainsi trouver des réponses plus appropriées, quittes à être articulées entre elles dans le temps.

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