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République des tables-bancs
28 juin 2013

Abécédaire : table-banc

Table-banc

Asseoir les enfants sur des bancs est l’une des obsessions de l’école, qui ne tient pas pour exacte l’assertion prêtée  à Montaigne, selon laquelle « sur le plus haut trône du monde, on n’est toujours assis que sur son cul ».

Qu’il y ait dans cette obsession la trace d’une volonté d’emprise et de discipline sur les corps, de maîtrise des sauvageons, est une possibilité, mais ne constitue par pour autant une problématique féconde. En effet, l’apprentissage de l’écriture ne s’acquiert nulle part sans discipline du geste et sans tenue minimale du corps dans une posture adéquate. Pas moyen de faire une ligne régulière de traits ou de bâtons, de a ou de o, si le cahier n’est pas immobile et posé et si l’on est pas en face de lui sans que le poids du corps constitue une gêne. Et que dire de la géométrie ou du dessin à la règle.

Une table, un banc. Plutôt cela que table et chaises. Le banc est collectif et cela offre deux intérêts : il s’adapte à un nombre variable d’enfants, qui peuvent se serrer si besoin, il est aussi l’un des traits d’une culture communautaire qui ne met pas toujours l’individu au dessus du groupe. Le banc n’est pas seulement la chaise du pauvre, il est aussi un bien commun. Marier le banc à la table est un souci pratique d’économie de place, de solidité du meuble et certainement d’entrave aux mouvements enfantins, ce qu’aucun instituteur ne tient pour négligeable. Voilà née la table-banc, dit aussi banc-pupitre en langue belge.

Rien ne vient du hasard dans cet objet, sauf cet aléa lancinant qui veut qu’en fin de compte, au sud du Sahara, il y ait dans les classes plus d’enfants par terre que sur des bancs. C’est la plaie des planificateurs et des financiers, qui en programment et en achètent, par pays, bien plus qu’il n’y a de fesses enfantines à asseoir, actuelles et même futures.

Où sont donc passées les tables bancs ?

Une bonne partie est dans des stocks, éventuellement en plein air, dans des cours des bureaux locaux de l’éducation ou dans des entrepôts. Nul ne s’y assoit, mais nul ne vient les chercher.  L’achat du plus beau des modèles dans le nombre le plus sérieusement calculé n’est rien tant que la logistique reste indolente et sujette aux hasards, aux bonnes volontés et aux financements improbables. Une autre partie est dans les écoles, au fond des classes, plus ou moins hors d’usage, dans les cours d’école ou sur les toits. 

Parfois, l’équation est très simple : la salle est assez grande si les enfants restent par terre, mais pas si on y installe les tables – ce n’est donc pas de tables que le besoin est le plus urgent. Il faut dire que les dimensions des salles sont standardisées tandis que les effectifs ne le sont pas.

Ailleurs, on verra plutôt l’œuvre du temps et du délabrement, les plateaux et les pieds sont entassés au fond d’une salle et dans un couloir, hors d’usage apparemment.  Tout est fait pour que le meuble le plus rustique se dégrade en quelques mois. Le sol de la classe, jamais carrelé et mal bétonné (il fallait tirer les coûts à la baisse, la carrelage a la réputation du luxe) est plein de nids de poule, et comme les bancs sont un peu chargés en raison des sureffectifs, ils n’y résistent pas.  Il a manqué les menus argents de quelques vis (encore cette agaçante dépense courante, celle qui bloque et détruit tout), quelques clous ou quelques soudures qui auraient été salvateurs, ou bien il a manqué un peu de relation entre l’école et les parents, ou bien encore un peu d’initiative et d’adresse technique du directeur et de des maîtres – il est vrai que cela ne s’apprend pas dans les écoles professionnelles des instituteurs, qui gardent un goût plus prononcé en faveur de la psychopédagogie. On verra aussi un peu de désintérêt des maîtres : ils ont trouvé la classe ainsi et ne sont pas payés pour la remettre en état, ils sont résignés à ce que les lignes de a et de o ne soient pas droites et à ce que les cahiers soient chiffonnés, c’est comme ça ici, on ne peut pas faire mieux. On pourra deviner que la supervision pédagogique, prompte à donner notes et injonctions, ne va pas jusque dans le détail trivial des planches et des clous.

Les détails qui comptent, quand on veut s’asseoir, ne sont pas ceux du siège ou de son prix, ce sont des trivialités accessoires à qui les enfants doivent de rester modestement sur leurs culs et d’apprendre à faire des lignes sur leurs genoux. 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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