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République des tables-bancs
1 juillet 2013

Abécédaire : soutenable

Soutenable 

Se dit d’une politique dont les coûts n’excèdent pas trop les ressources.

L’adjectif soutenable sert le plus souvent à qualifier une politique future, mais l’exploration de son sens gagne à être ancré dans le passé.

Si l’on cherche à estimer si une politique future visant l’expansion scolaire rapide et l’achèvement primaire universel dans un pays subsaharien est soutenable ou non, la réponse aura de grandes chances d’être négative. Le cadre d’action de Dakar, les financements nouveaux par l’initiative Fast-Track puis par le partenariat mondial, les engagements de tous à muscler leurs financements (plus ou moins tenus) sont justement issus du constat que ces politiques avaient un coût supérieur aux ressources des pays. Il n’y a pas de découverte dans le fait que les pays subsahariens dans leur grande majorité ne pouvaient pas – et ne peuvent toujours pas – soutenir des politiques de scolarité primaire universelle à atteindre dans un délai raisonnable, moins d’une génération, sur leurs seules ressources intérieures. La promesse des bailleurs en 2000 était d’ailleurs celle de financer des plans crédibles, et non des plans soutenables.

L’appréciation du caractère soutenable ou non d’un programme sectoriel n’a donc pas pour référence ce que le pays est capable de payer. Implicitement, ce jugement se fonde plutôt sur les ressources nationales prévues et sur les ressources extérieures promises. Bien entendu, il n’est pas possible de fixer un seuil de dépendance extérieure au delà duquel les projections ne seraient plus soutenables. Chacun dira que 5 %, ce n’est pas trop et que 30 %, ce n’est pas raisonnable, mais fixer une barre aurait l’inconvénient de souligner que les pays bénéficiaires ne sont pas égaux, loin de là, vis à vis de l’aide qu’ils reçoivent. L’aide extérieure peut représenter 5 ou 20 % des dépenses d’éducation selon les pays, ce qui est excessif ici est ordinaire là bas.

Apprécier si une politique à venir est soutenable, c’est donc prononcer un jugement financier sans référence à une norme. La seule norme doit rester implicite, elle correspond de fait à ce que les bailleurs supposent qu’ils consentiront à financer dans l’avenir et dans le pays.

Pour autant, cette appréciation peut se fonder sur des ordres de vraisemblance, presque sans calcul et par simple référence à la situation du pays lui-même.  Cela reste imprécis, mais cela évite au moins de se référer à une norme que l’on ne souhaite pas énoncer, situation fâcheuse pour exprimer des exigences.

On peut poser sans calculer que, d’une période de planification à la suivante, les principaux équilibres ne peuvent être modifiés de façon sensible que si l’une au moins des grandes variables de l’équation financière de l’éducation a changé : la démographie, les salaires enseignants, le redoublement, la part du secteur dans le budget de l’état, la pression fiscale, la croissance économique et plus marginalement les apports extérieurs. On dira alors qu’un programme n’est pas soutenable s’il a supposé une inflexion des dépenses (accélération du rythme d’expansion des scolarités, accueil favorisé vers la partie haute du système, par exemple) alors que l’équation de base n’a pas varié, ou pas dans le bon sens. La comparaison du programme dont l’écriture est en chantier et de celui que l’on a exécuté avant, via les principales variables de l’équation, suffit à fonder le crédit qu’on lui donnera ou non, sur le plan des équilibres financiers.

A quoi cela sert-il ? Engager une dépense sans ressource, c’est à coup sûr s’exposer à des ennuis, mais la planifier, ce n’est pas si grave. Et si l’on avait raisonné en dépenses soutenables, il n’y aurait toujours pas de métro à Paris, parce que les dépenses n’étaient pas soutenables.

Si l’argent ne vient pas, la dépense ne viendra pas non plus, voilà tout. Interrogés sur l’optimisme parfois étrange de leurs programmes, les ministères ont des réponses de ce genre : le plan est aussi un instrument de plaidoyer, disent-ils, et qui sait si nous n’allons pas devenir riche, dès que vous serez parti. Hélas, derrière cette réponse qui sent son bon sens, on voit aussi que l’autorité diffère le moment de marquer ses choix, puisque dans le flot de dépenses programmées, elle n’aime pas dire lesquelles ne viendront pas quand l’argent ne sera pas là. Le seul intérêt d’un jugement sur le caractère soutenable  d’un programme futur est justement celui-là, il réside dans une question : l’excès de promesses cache-t-il une hésitation face aux choix ?

Quand cette hésitation a duré quelques années, on peu se tourner vers le passé pour chercher des traces de politiques non soutenables qui auraient produit des effets.

Ce n’est pas si difficile à trouver, les politiques d’expansion scolaire regorgent de tels exemples.

Dans une petite localité de Mauritanie, bien pourvue en écoles primaires, la promotion d’un nombre croissant d’enfants vers le collège avait suscité des revendications à la création d’un établissement secondaire sur place. Malheureusement, aucun collège n’avait pu être érigé dans un délai raisonnable, faute d’argent, de sorte que les autorités ont simplement créé un collège sans bâtiments, en prélevant quelques enseignants dans la petite ville voisine. Le collège nouveau a alors investi les locaux d’une école primaire pour les après-midis. Ce faisant, les autorités ont en même temps dégradé la qualité de l’école, contrainte désormais au double flux, dégradé la qualité du collège de la ville voisine en prélevant des enseignants et installé un collège dans des conditions de travail pénalisantes.  Il n’était pas soutenable de donner à croire que tout le monde pourrait aller au collège. 

C’est là toute la problématique : comment ne pas faire quelque chose lorsque l’argent n’est pas là pour le faire, parce qu’il vaut mieux alors ne pas le faire tant le faire mal est porteur de dangers. L’idée du soutenable y prend son intérêt, qui est de susciter une réflexion sur les choix que l’on risque de ne pas pouvoir éluder. 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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