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République des tables-bancs
3 juillet 2013

Abécédaire : qualité

Qualité

La qualité de l’abécédaire pâtirait à abriter une longue dissertation sur le concept subtil et multiforme de la qualité en éducation ; il vaut mieux renvoyer le lecteur curieux et patient à un papier plus exhaustif qu’il trouvera ici :

 http://www.le-vif-du-sujet.com/fr/pdf/concep_qualite_education.pdf

Cette page se contentera de questionner quelques habitudes étranges et idées reçues, dont on peut imaginer qu’elles handicapent réflexion et action, et tout cas qu’elles en permettraient d’autres en se faisant plus discrètes.

Les habitudes étranges des analystes de l’école africaine et des plumes qui se prêtent au jeu des plans sectoriels est d’établir une identité indépassable entre la qualité de l’éducation et ses résultats, approchés par des scores obtenus pas les enfants à des tests portant sur des disciplines maîtresses, la lecture et le calcul. C’est sans doute une scorie de la fascination des chiffres, à moins qu’il ne s’agisse d’une paresse de la pensée.

La commodité qui en résulte est la réduction de la qualité à quelque chose que l’on peut décrire par une petite série de nombres et aussi comparer dans le temps et dans l’espace. Pourtant, le sens le plus commun du mot qualité ne renvoie pas à un quelque chose qui serait en plus ou moins grande quantité dans l’objet, mais à ce qui fait qu’on pourrait le recommander, à son aspect non mesurable (c’est du moins l’acception que donne de dictionnaire Robert). Pourquoi une école est-elle ou non recommandable ? Pour ce qu’y apprennent les enfants, sans aucun doute, mais aussi pour beaucoup d’autres raisons : ils y sont bien accueillis, ils y sont en sécurité, ils sont abrités s’il pleut, les horaires sont réguliers, les salles ne sont pas trop chaudes ni sales, les maîtres ne réclament pas de l’argent toutes les semaines, on n’y montre pas les pauvres du doigt, on n’admet pas la dictature des grands dans la cour, les latrines sont convenables, le maître ou le directeur trouvent le temps d’avertir la famille si besoin, les cahiers sont visés, bref, les enfants ont plutôt envie d’y aller les mères ne sont pas dans l’angoisse.

 Les chiffres qui nous sont le plus souvent donnés renvoient bien à un aspect assez limité de la qualité, c’est à dire aux résultats des enfants sur les apprentissages, mais il y aurait peut-être quelques avantages à explorer les autres facettes du jugement que les familles et les enfants portent sur leur école. Il se pourrait du reste que ces facettes jouent aussi sur ce qu’ils apprennent, qui sait ?

Prenons donc nos mesures comme de simples indications de résultats. Elles sont encore un peu pauvres. Elles ne mesurent au mieux que des habiletés cognitives et ne nous disent rien sur les comportements ou les attitudes des enfants. S’ils savent écouter, différer un jugement, se taire ou parler au moment idoine, se méfier d’une information bizarre, anticiper leurs tâches, collaborer pour les réaliser, tout cela est passé à la trappe. Pas très important, peut-être.

Ces habiletés cognitives sont alors mesurées dans les disciplines maîtresses. On comprend cela : en effet, celui qui sait mal lire ou compter a raté quelque chose, et puis c’est moins coûteux de faire deux mesures que douze. Cela s’appelle peut-être recentrer l’école sur ses missions fondamentales, mais osons dire que le recentrage est un peu rugueux. On sait pourtant que l’école est chaque jour missionnée pour une foule d’autres apprentissages : life skills, prévention sanitaire, constitution d’une identité nationale, par exemple.

Enfin, les mesures circulent dans les documents d’analyse et de politique sous forme de scores moyens. Les enfants, dit-on, réussissent la lecture à 40 % seulement et c’est bien dommage. Le plus instructif serait de connaître la dispersion de ce 40 % : est-ce la résultante de points noirs, c’est à dire d’écoles où aucun enfant n’apprend rien, et de points aux scores honorables, ou s’agit-il d’une médiocrité générale ? Les politiques à décider dépendent entièrement de ce point. Si nous avons des points noirs, c’est plutôt une bonne nouvelle, il s’agira de savoir ce qui leur manque, des salles et des maîtres pour atteindre un effectif raisonnable par tables, un peu de discipline, des tableaux, de l’ardoisine, des livres, mais on pourra faire quelque chose assez vite. Si nous sommes face à une médiocrité générale, les politiques seront plus compliquées, c’est un ensemble qu’il faudra revoir parce qu’il ne fonctionne pas dans sa configuration normale. Si nous ne connaissons pas la dispersion des scores, nous n’avons aucun moyen de décider de politiques, sauf à l’aveuglette, autant dire que la mesure n’a mené à rien.

Le lieu le plus commun des documents politiques, en termes de qualité, consiste à décider dans leur grande sagesse que tout cela réside dans la classe et même certainement chez le maître. Ayez de bons maîtres pour que les enfants apprennent beaucoup de choses (mais n’allez quand même pas les payer trop cher, lit-on quelques pages plus loin). C’est le bon sens des rédacteurs de politiques.

Cependant, si nous interrogeons des maîtres, leur bon sens à eux leur fera pointer beaucoup de facteurs de non qualité qui résident plus dans l’école que dans la classe ou dans leur personne. L’année a commencé avec un mois de retard, deux salles ne sont pas étanches et il a fallu tasser les gosses dans celle qui reste, même quand il fait sec il en reste quatre-vingt dans soixante mètres carrés, la répartition des élèves dans les différentes classes a changé quatre fois dans les deux premiers mois, l’ardoisine n’est pas venue et avec les poteaux au milieu des salles la moitié des enfants ne peut pas lire au tableau, nous n’avons pas reçu de livres, j’ai dû m’absenter plusieurs fois plusieurs jours pour régler une erreur administrative jusqu’à la capitale, etc.

Il y aurait beaucoup à gagner à secouer le lieu commun qui feint de chercher où se construit la qualité et à répondre d’instinct que c’est dans le maître, en remplaçant l’affirmation par deux questions : où se construit la non qualité et qu’est-ce qui tient à l’école ? Nous n’aurons pas de réponse générale à ces deux questions, mais des types divers de réponse  et des fortes variations locales, mais nous serons plus proches des mesures concrètes d’amélioration, dont certaines n’auront rien de pédagogique. 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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