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République des tables-bancs
7 juillet 2013

Digression spéculative sur la comparaison

 

Il faut s’étonner de l’uniformité des documents de politique éducative des pays subsahariens. Rien ne permet de s’y attendre, les pays sont si divers dans leur géographie, leurs traditions politiques, leur unité ou leur diversité linguistique ou confessionnelle, leur économie. Et même si divers dans leurs traditions scolaires : ici l’uniforme et pas là, ici beaucoup d’écoles privées et religieuses et ailleurs non, ici des grandes écoles au bord des routes, là des petites au cœur des villages. Ici beaucoup d’institutrices, là bas beaucoup d’instituteurs.

Cette uniformité évoque celle, symétrique, des rapports dits d’analyse sectorielle. A ceci près que la seconde est voulue quand la première n’a aucune raison de l’être. L’analyse sectorielle est standardisée pour une raison bonne et simple : en comparant les systèmes nationaux entre eux, on en tirera des enseignements plus riches qu’en les observant chacun d’une manière différente.

L’uniformité lancinante et étonnante des documents de politique, jusque dans leur contenu, a-t-elle quelque chose à voir avec le travail de la comparaison ? 

Comparaison n’est pas raison, dit-on.

L’analyse sectorielle contemporaine se réclame de l’empirisme, c’est à dire de l’observation comparée des produits et des façons de les produire. Il se pourrait qu’au cours de la démarche la comparaison en arrive même à mettre la raison à la porte et que l’analyse se fasse un peu ténue, cachée par les constats rangés sur des échelles chiffrées de comparaison.

Que compare-t-on ? L’empirisme économique a un bel et exclusif appétit pour la comparaison de chiffres. L’esprit comparatif cherche donc des indicateurs qui, en un seul chiffre, seront chargés de rendre compte d’un constat. Des taux, des coûts unitaires (d’où ce goût dérivé pour des moyennes, le plus plat des indicateurs statistiques), des coefficients de régression linéaire de la relation entre le nombre d’enfants et le nombre de maîtres dans les écoles, des indices de Gini sur l’équité de la distribution de l’argent public dépensé en éducation. Chaque indice représente son problème et sa valeur correspond au degré de gravite de la pathologie du système sur ce problème particulier. On dira que la gestion est moins efficace en Mauritanie qu’à Djibouti parce que l’indice qui synthétise la rationalité de la dispersion des maîtres sur le territoire y est plus mauvais. 

L’analyse commence si un raisonnement éventuellement spéculatif cherche à mettre en relation des résultats (pourquoi pas des indices qui les représentent) et les conditions de leur production. Par exemple, si la dépense de qualité (courante et hors salaire) est ici plus faible que dans la moyenne africaine ou que dans des pays comparables, cela a-t-il un rapport avec les procédures de la dépense publique, qui s’y prêtent justement plus mal qu’ailleurs, ou bien avec un degré sévère de manque de sincérité budgétaire, ou bien par l’incompétence du ministère de l’éducation dans la préparation budgétaire ou dans l’exécution de la dépense, ou bien encore à des complexités logistiques qui rendent improbable la distribution voire le commerce de petits consommables sur le territoire ?

En elle même, la valeur de l’indice ne signifie que peu de choses, mais cette signification n’est pas beaucoup augmentée quand on a comparé l’indice avec celui des voisins, qui ne connaissent peut-être pas du tout le même genre de conditions. Le raisonnement serait le même quand il s’agit de la distribution des maîtres : sur cette question, le Tchad et la Burundi n’ont rien de commun, le premier ayant l’une des plus faibles densités de population du continent et le second l’une des plus fortes, le premier étant multilingue – avec certaines écoles bilingues et d’autres non - et pas le second. Comparer leurs indices d’aléa n’a pas de sens en soi, cela en aura si l’on cherche ce qui crée le désordre dans chacun des cas.

Le problème que nous pose la comparaison est ici. Sans une seconde dimension spéculative d’analyse des produits et de leurs différences d’un pays à un autre, elle n’est que le premier pas d’un raisonnement et ce premier pas ne permet pas de réfléchir à des politiques.

La place de l’indice dans l’échelle des comparaisons est saisie trop vite comme une question appelant une réponse sous forme de chapelet de mesures réglementaires ou de dépenses nouvelles. Le coefficient dit d’aléa dans l’affectation des maîtres est moins bon qu’ailleurs, alors je vais énoncer des mesures de gestion du personnel, plus rigoureuses, plus scientifiques, mieux branchées en temps réel sur des bases de données améliorées. Le montant des dépenses courantes de qualité est trop faible, nous allons donc l’augmenter dans les budgets. Et l’on trouvera ça dans tous les plans sectoriels. Ainsi naît l’uniformité et la certitude que cela ne marchera pas très bien. 

Ce qui a manqué, c’est un travail de l’analyse dont la comparaison nous indique la nécessité. La comparaison repère si, sur tel point, il se peut qu’il y ait des améliorations à trouver, parce que le résultat semble plutôt plus mauvais que dans tel ailleurs où les conditions ne semblent pas meilleures. Sa seule (et grande) utilité est de laisser la place à des imaginations politiques aussi variées que les valeurs des indices.  

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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