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République des tables-bancs
22 juillet 2013

Abécédaire : l'abandon

Abandon

 

On dit qu’un enfant a abandonné l’école lorsqu’il s’est abstenu de la fréquenter pendant un certain temps, au point qu’il devient improbable qu’il y retourne.

Les statisticiens sont capables de calculer des taux d’abandon. Du point de vue d’une administration centrale, c’est assez simple : c’est l’effectif d’une cohorte l’année N, dont on déduit la somme des promus dans la classe supérieure et des redoublants dans la même classe l’année N+1.

En revanche, l’abandon peut passer inaperçu dans l’école, à tout le moins le directeur de l’école peut ne jamais enregistrer d’abandons. En fin d’année scolaire, il prend des décisions de redoublement, et si l’enfant ne revient pas s’inscrire, on l’oublie c’est tout. Il n’est jamais rayé des listes (quelles listes d’ailleurs, s’il n’y a pas de registre matricule dans l’école ?) et si par hasard quelqu’un venait poser la question du nombre d’abandons le directeur pourra dire qu’il n’en a enregistré aucun. Si l’on insiste, il dira que l’enfant est parti dans une autre école, comme il n’y a pas de registre des transferts, on ne saura jamais. De fait, il existe un mouvement incessant de transferts, dont les écoles peinent à garder des traces solides. 

C’est ainsi que l’abandon est à la fois mesuré et invisible. On ne le voit qu’en bloc

et peu de gens lisent les annuaires statistiques. Celui qui le mesure n’en est pas comptable, celui qui pourrait se le faire reprocher ne l’a pas vu.

Il y a une autre façon de se déculpabiliser de l’abandon, c’est d’en chercher doctement les causes. Lorsque le consultant est mandaté pour chercher les causes des abandons (et même si la pensée causale lui est étrangère), les autorités espèrent qu’il désignera la pauvreté, qui devient, dans un rapport validé, « coûts d’opportunités » ou la faiblesse de l’attirance des enfants et de leurs familles pour l’école. Si c’est ainsi, c’est assez fatal, l’exonération est au bout du rapport. Merci de votre analyse, cher consultant, hélas nous n’y pouvons rien si les pauvres sont pauvres et si en plus ils n’aiment pas l’école.

Il reste pourtant un moyen de travailler sur les abandons, avec un peu d’espoir de les limiter. Les plans sectoriels n’y font jamais allusion. Admettons que l’abandon ait des causes, et que ces causes nous échappent, nous pouvons encore essayer d’empêcher ces causes de produire leur effet. Entre la cause, si elle existe, et l’effet, il n’y a pas une décision («décidément, je ne peux plus aller à l’école, tant pis ») mais un chemin de hasard que l’on peut tenter d’interrompre.

L’enfant n’a pas décidé d’abandonner l’école, il y va de moins en moins et à la fin pas du tout. S’il n’y est pas allé pendant trois mois, peut-être il ne sait pas lui même qu’il a abandonné, peut-être qu’il pense qu’il y retournera la semaine prochaine. Peut-être que sa mère ne sait même pas qu’il n’y va presque plus. Il n’y va presque plus parce que, quand il est arrivé en retard, on l’a renvoyé, plusieurs fois de suite et qu’il ne sait plus ce qu’il peut dire au maître ; parce qu’il a eu trop de mauvaises notes et qu’il ne croît pas qu’il pourra en avoir de bonnes, surtout que le maître ne donne jamais de bonnes notes aux mauvais élèves ; parce que, finalement, il a moins de problèmes à ne plus y aller qu’à y retourner.

Dans cette période grise, l’école peut travailler. Quelques petites choses simples. La gestion des retards par les écoles a pour effet de transformer des retards en absences, qui se transforment à leur tour en abandon. La gestion des absences est le lieu entre tous du repérage des enfants décrocheurs, elle est trop souvent négligée. Prévenir la famille, interroger les camarades, faire intervenir la fratrie, proposer des aménagements si des interrogations importantes ont été ratées du fait de l’absence, et surtout réagir vite et surveiller, signaler au maître les enfants sujets au décrochage et qu’il ne faut surtout pas décourager.

La gestion quotidienne de l’école peut réduire le risque de voir la pauvreté ou d’autres réalités sociales provoquer des abandons scolaires. Elle ne s’attaque pas aux facteurs des abandons, mais aux mécanismes par lesquels ces facteurs se manifestent.

Reste la question de jouer sur la gestion des nombreuses écoles du pays, en tout cas d’une bonne partie d’entre elles. L’administration centrale peut tenter seule d’obtenir que des milliers de directeurs changent leurs pratiques. Elle peut aussi se faire aider en cela par des APE, des associations communautaires, des collectivités locales.

 

 

 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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