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République des tables-bancs
7 août 2013

Abécédaire : l'achèvement

Achèvement

Approximation linguistique et statistique, l’achèvement, ultime fin des efforts du millénaire en éducation, ne signifie à peu près rien de ce qu’il évoque. L’idée rend tout de même de fiers services.

Un taux brut d’achèvement se calcule en divisant le nombre de nouveaux inscrits, c’est à dire de non redoublants, dans la dernière classe d’un cycle, le primaire par exemple, par la population de l’année de naissance correspondant à l’âge théorique de fréquentation de cette classe. Si l’on calculait un taux net, on ne prendrait au numérateur que les nouveaux inscrits dans la classe ayant exactement l’âge normal d’y être, mais ce calcul est peu employé, parce que les âges des enfants sont assez mal connus et parce qu’après quelques années de scolarité, ils sont finalement peu nombreux dans une classe à avoir l’âge normal (en général moins de la moitié). On s’arrête alors aux taux bruts, qui ne sont d’ailleurs que des taux d’accès.

On a exactement compté les enfants qui ont atteint la dernière classe, les redoublants étant ôtés pour qu’ils ne soient pas comptés deux fois, comme on recommence le calcul tous les ans. Achèvement est alors pris au sens de l’achievement anglais : a achevé celui qui arrive vers la fin et pas seulement celui qui a terminé. Et comme on ne sait pas se sortir de la question des âges, on ne sait pas dire non plus avec quelle valeur du taux vient la certitude que tous les enfants sont un jour dans la proximité de la fin des études primaires. Plus de cent pour cent, à coup sûr, mais combien plus, nul ne peut le dire, cela dépend si beaucoup d’enfants sont en avance ou en retard, ou peu. Et c’est ainsi qu’il n’est pas très possible de savoir si ni quand le fameux objectif du millénaire « achèvement universel de la scolarité primaire » est atteint.

Cela n’est pas bien grave pour les politiques tant que l’on a la certitude inverse. A moins de cent pour cent de taux d’achèvement, il ne reste qu’à continuer d’investir et de faire ce que l’on peut pour attirer et retenir toujours plus d’enfants dans les classes – c’est du reste un peu lassant, surtout quand les bailleurs demandent à cors et à cris que l’on veuille innover, alors même que le début de l’installation de l’école n’est pas achevé. C’est le cas aujourd’hui de tous les pays d’Afrique subsaharienne francophone, il n’y aucune angoisse politique à tirer du fait que l’on ne sait pas très bien chiffrer l’objectif. Tant que l’indicateur n’a que deux chiffres avant la virgule, les politiques visent à créer plus de places, à tout faire pour éviter les abandons et les redoublements, à obtenir que les enfants s’inscrivent au plus près de l’âge souhaitable.

C’est ainsi qu’opère la magie du chiffre. Voici un taux dont on ne sait pas dire quelle valeur il doit atteindre, mais qu’on ne sait pas remplacer par un autre qui serait plus clair. Le chiffre joue bien son rôle pour diriger les politiques grâce à la puissance de ce qu’il évoque, intuitivement et sans précision. Le seul fait que chacun croie comprendre le but qu’il désigne lui suffit, du moins pour l’instant.

Il viendra un moment où le taux brut d’achèvement primaire dépassera cent, puis stagnera et décroîtra – le boa de la courbe aura digéré l’éléphant des rattrapages d’âge. Il serait bien, à ce moment là, d’avoir quelques moyens de s’assurer que les enfants inscrits un jour ne sont pas disparus des listes avant six ou sept années – quitter la statistique pour l’identification, afin de croiser deux quasi-certitudes. C’est une autre et coûteuse histoire. 

Des débats difficiles commencent dans les pays qui ne sont plus très loin d’avoir envoyé tous leurs enfants à l’école. Avec des taux d’accès de 120 % et plus pendant quelques années, des taux d’achèvement de plus de 90 %, les gouvernements, on les comprend, aimeraient passer à autre chose et proposer aux populations des politiques un peu plus aguichantes : tous au collège, à présent, ou bien quelques nouveautés dans ce que l’on apprend, ou un peu moins de rudesse dans les équipements. Les analystes cherchent alors les traces statistiques des quelques pourcent d’enfants qui ont échappé à tous les efforts, ce qui n’est jamais facile, toujours à cause de cette incertaine question de l’âge. La simplicité et l’imprécision des taux d’achèvement ne permettront pas d’arbitrer le débat. Ce qui serait dommageable, comme à ce moment là les objectifs du millénaire seront passés de mode, c’est que chacun oublie celui-là, l’achèvement primaire, parce qu’on ne sait pas bien le chiffrer au moment où cela devient nécessaire. 

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