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République des tables-bancs
19 septembre 2013

Digression spéculative sur le bon usage de la fraternité à l'école

Un grand mot pour trois petites choses, simples comme l’œuf de Colomb.

Il n’y a pas d’enfant unique en Afrique, pas d’enfant seul. En Chine, les mots frère et sœur n’ont plus d’usage à ce qu’on dit et même, depuis le temps que les commissaires politiques surveillent même les nuages et la pluie, il ne doit plus y avoir de cousins. En Afrique, on en a toujours beaucoup, au point qu’il faut des mots en plus, « même père - même mère » pour désigner le lien incontestable et direct du sang (et des présomptions légales ou traditionnelles), tant l’emploi des mots seuls de frère et sœur est abondant. 

Pourtant, on ne sait rien sur le sort des fratries dans l’éducation. La statistique, aujourd’hui virtuose, nous dit tout sur les enfants qui vont ou ne vont pas à l’école, ceux qui y restent et ceux qui n’y restent pas, ceux qui apprennent et ceux qui restent ignorants – tout, sauf si leurs frères et sœurs sont dans le même cas. Il y aurait là de quoi exciter l’inventivité des enquêteurs de chiffres et abreuver les réflexions. S’il y a de forts effets de fratrie, rien à dire, restons sur ce que nous savons faire, plus ou moins, pour contrer les mauvais sorts sociaux. Si, en revanche, il y en a peu, l’école n’a pas d’excuse sociale à l’échec d’un frère parmi beaucoup qui connaissent les mêmes conditions et l’aléa des alchimies pédagogiques doit être sérieusement remis sur le métier. C’est un usage heuristique de la fraternité. On pourra aussi imaginer jouer sur l’un des frères (sœurs) pour gagner sur l’autre.

La seconde petite chose est précisément celle-là : les fratries ont-elles un sens dans la gestion scolaire du quotidien ? Quand le frère est absent, demande-t-on à la sœur ? Quand le frère a atteint l’âge de venir et n’y est toujours pas, demande-t-on à la sœur ? Quand le sentiment de l’insécurité inquiète des jeunes filles qui osent à peine continuer à venir, n’y a-t-il pas quelques grands frères ? L’enfant n’est seul que dans les registres de l’école et les cahiers de notes du maître, est-il contraint de le rester ? Gageons qu’une part de la prévention contre l’abandon, et son petit frère le décrochage, pourrait être gagnée dans l’école par un travail sur les fratries. C’est un usage gestionnaire de la fraternité.

La troisième relève de la façon d’enseigner. Entre le maître et l’élève, y a t-il des groupes ou des fraternités (d’âge, d’amitié, d’occasion) ? Enseigne-t-on que chacun travaille pour lui et que le meilleur (seul) gagnera, ou que le groupe a une part de la responsabilité d’apprendre ? Demande-t-on aux plus débrouillés d’aider un peu ceux qui le sont moins ? Donne-t-on des notes ou des appréciations qui valent pour un groupe d’enfants (la note n’est pas bonne tant que chacun n’est pas au point), ou seulement pour un enfant à la fois ? Collabore-t-on ou compétit-on ? Ce n’est pas une question triviale ou naïve, même si la réponse la plus courante se laisse deviner. Si le droit à l’éducation primaire est celui de réussir, pour tous, on voit mal où la compétition aurait sa place. On dit aussi qu’il faut éduquer à la paix et à la citoyenneté. Ou bien on prêche et on harangue (la paix c’est mieux que la guerre, la citoyenneté c’est le progrès) ; ou bien on fait, en essayant les avantages des collaborations en lieu et place des compétitions. C’est un usage pédagogique de la fraternité.

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