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République des tables-bancs
4 octobre 2013

Abécédaire : le manuel

On raconte au Congo que des enfants, sachant pourtant lire, ont été recalés à l’examen, déconcertés pour n’avoir jamais vu de caractères imprimés avant ceux du sujet de l’épreuve. C’est que le livre est encore rare dès qu’on a passé le tropique.

Son prix fait sa rareté, quel que soit le payeur, gouvernement, bailleur ou famille. Il n’est pas rare de voir une distribution d’un ensemble dit minimal de manuels pour les classes primaires manger le quart ou le tiers d’un gros financement extérieur. Il y a de tout dans ce prix et même des éléments contestables. Des droits d’auteur sur des exemples grammaticaux (Amadou a rangé son crayon) et sur les quatre opérations. Le droit d’auteur protège la création, à ce que l’on dit. On trouve aussi des couleurs – quatre couleurs pour faire plein de passages et de calages en machine, disqualifier l’imprimerie locale et multiplier le prix par le nombre de couleurs. On trouve enfin des livres faits pour ne pas durer : par exemple, avec des tableaux ou des phrases à remplir. Le livre dit bien à l’enfant, avec une belle hypocrisie « recopie ce tableau sur ton cahier et remplis-le ». Allons bon, quelle drôle d’idée. S’il faut écrire sur le livre, imprimons-le plutôt en vilain papier journal plié, à très bas prix comme les mots croisés 

Qui pourrait contester ces éléments du prix, ces empêchements d’acheter, ces ruses pour limiter la durée du livre ? Voilà une belle idée pour un bailleur important, un groupement de bailleurs, un fonds pour l’école ou pour l’enfance, qui se chercherait des priorités pas encore préemptées par ses confrères, une doctrine, une utilité, un avantage comparatif. Ce serait du même coup chatouiller les grands groupes francophones ou anglophones, champions de l’édition scolaire réputés ne pas exporter que des livres, mais aussi des méthodes de vente contestables. L’intervention des bailleurs internationaux a eu souvent l’effet d’imposer des appels d’offres internationaux, au nom de la concurrence – négocier avec ces trusts sur la fin des droits d’auteur et la limitation des prix pourrait tempérer un peu l’usage qu’ils font de cet avantage d’être les seuls à pouvoir concourir.

Les mauvaises logistiques font l’autre bout de la rareté du livre. Le consultant itinérant, avec les années, a vu plus de livres dans des entrepôts que dans les classes. Ils sont rongés ou détrempés avant d’être lus. Faibles logistiques, rareté de la dépense courante non salariale, ici celle qui permettrait de transporter les livres : toujours les mêmes causes pour les mêmes effets, qu’à la fin l’enfant rate l’examen parce qu’il n’a jamais rien lu, sauf le tableau, le jour où il a pu le voir.

Lorsque le livre arrive par chance jusque dans l’école, l’histoire n’est pas finie. Il n’est jamais certain que le directeur et le maîtres en tolèrent l’emploi, au grand agacement de ceux qui l’ont payé. J’ai longtemps cru à quelque raison qui tiendrait à un mélange d’incurie et d‘incompétence, jusqu’à rencontrer l’insistance de spécialistes à organiser des formations de maîtres à l’usage du livre.  Si cela était nécessaire, alors le manuel ne serait pas un livre, mais une sorte d’objet écrit non identifié, et les maîtres auraient toutes les excuses de les laisser au placard. Ce n’est incongru, hélas, qu’en apparence. Feuilletant et essayant de lire des manuels contemporains des classes primaires, je dois bien dire qu’ils me sont tombés des mains. Graphisme compliqué, énoncé d’objectifs rédigés dans un sabir dérivé d’une novlangue très résistante, du genre eau de vaisselle, pas de partage entre le texte à lire, la leçon à apprendre, l’exercice à faire, un classement déroutant des chapitres sans lien avec les objets du savoir, des indications souvent obscures de méthode dont on ne sait si elles s’adressent au maître ou à l’enfant – bref, le manuel, dans ses pires avatars, a tout d’un outil à embrouiller les problèmes et peu d’un livre. Il serait à la fois amusant et difficile de retrouver les traces des théories superposées et mal comprises qui ont pu mener les rédacteurs à ces galimatias – peut-être les droits d’auteur se cachent-ils là dedans ?

 

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