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République des tables-bancs
26 novembre 2013

Retour sur la question des performances

L’inquiétude des bailleurs de fonds sur les résultats discutables ou navrants des écoliers africains s’exprime en ce moment avec une vigueur proportionnée aux désastres et il faut s’en féliciter. Cette expression prend la forme hélas classique de recommandations pressantes pour des politiques étranges et il faut, ici, s’en inquiéter.

C’est en vogue dans les grandes institutions globales chargées de réfléchir à l’éducation et d’en financer un peu les coûts (ah ! si ces deux rôles étaient séparés !) que d’invoquer les mérites de gestions nouvelles qui font de la performance un parangon et du contrat une panacée.

J’entends dans beaucoup de pays africains de vigoureuses injonctions à la gestion par la performance. Ce n’est pas nouveau, jusque là, on accommodait les discours et les plans nationaux à la rhétorique idoine et on l’oubliait aussitôt – désormais les injonctions sont précises, pressantes, urgentes et se traduisent en expériences aussi diverses qu’étranges. Ce sont des primes aux instituteurs performants ou des contrats de performance avec des écoles ou des bureaux locaux de l’éducation. 

Performance et contrat, les deux nouvelles mamelles globales du politiquement correct en éducation.

Las ! Il faut répéter ici quelques doutes élémentaires exprimés déjà dans l’abécédaire ou d’autres billets de ce blog.

La relation entre les résultats des enfants (qui est bien autre chose que la qualité de l’éducation) et les maîtres ou les écoles est complexe, très complexe. La grande mobilité des enfants comme des maîtres dilue à l’infini l’imputabilité  que l’on veut mettre sur le dos du dernier maître de l’enfant. Les conditions de travail des classes sont tellement souvent en dessous d’un minimum essentiel que peu de mesures des résultats de ce travail peuvent être interprétées avec sérieux. On ne sait donc pas grand chose, en fait, sur les performances, sinon qu’elles sont  très médiocres, et rien du tout, pas même epsilon, sur la relation de ces performances au travail du maître. Tout juste soupçonne-t-on que l’école a plus de poids que le maîtres, mais même cela, c’est un peu incertain. Ce que l’on sait, c’est ce que l’on voit : des classes de cent gosses en cours préparatoire, des écoles sans livres, des années scolaires à trous, des tableaux en ruines et des latrines bouchées.

La performance de l’enfant n’est jamais singulière, il n’y a jamais un seul enfant, ni dans une classe, ni dans une école, ni pour un maître, ni dans une fratrie. La faiblesse des performances moyennes ne signifie à peu près rien d’utile. Si beaucoup d’enfants sont nuls dans une classe et quelques-uns bons, cela veut dire quelque chose. Si tous sont nuls dans une classe et pas un dans l’autre, dans une école et pas dans l’autre, cela veut dire autre chose. Si les résultats d’une école sont très mauvais une année sur deux et pas la deuxième, cela signifie encore autre chose. Si tout le monde est très médiocre partout et tout le temps, c’est encore pire. Le résultat nul doit toujours être tenu, a priori, comme une moins mauvais nouvelle qu’un résultat médiocre, parce qu’il est probable que là où il s’est produit, il a manqué quelque chose d’essentiel et de simple : il n’y avait pas de maître la plupart du temps, ou pas de salle, ou pas de tableau, ou pas de livre. On saura quoi, on pourra peut-être y remédier, avec un mélange de sous et de bon sens. Quand tout est médiocre, les remèdes sont autrement plus difficiles à trouver.

Si l’on veut parler de performances et de résultats, la première chose à faire est celle-ci : décrire la dispersion des résultats, les écarts et les frontières entre les catastrophes et les médiocrités. Ces frontières sont la base sur laquelle on choisira des politiques. Je n’ai jamais vu d’analyse de ce type, je vois des bailleurs s’exciter sur des moyennes décidément trop basses. 

Le contrat n’est pas un mode naturel de la gestion administrative de la chose publique. Un service public a des missions et peut-être des moyens, les agents sont dépendants et reçoivent des instructions. L’indépendance, qui en droit porte le nom de liberté, est le fondement du contrat, sa condition nécessaire d’existence. Pas de liberté, pas de contrat. Un Etat, un ministère, peut passer un contrat avec une collectivité locale si et seulement si cette dernière a des organes élus qui ne doivent rien à l’Etat, des ressources propres et la possibilité de refuser le contrat. Un Etat ne peut pas passer de contrat avec un de ses démembrements ou services locaux. Cela n’a tout simplement pas de sens, aucun, jamais, nulle part. Même en Afrique, Messieurs les bailleurs, la liberté des contrats y est la même que chez vous, elle seule permet que l’on puisse parler de contrat. Ou bien ?

J’entends les répliques, je les ai tellement entendues : contrat, ce n’est qu’une image (attention quand même, bientôt on dira « droit à l’éducation, ce n’est qu’une image), ce que l’on veut, c’est donner plus de sous à ceux qui feront mieux. C’est très différent, notons au passage, que de donner plus de sous à ceux qui en ont le plus besoin, mais admettons. Mais cela revient à ce que l’école, ou pire, l’instituteur, s’engage à quelque chose (sur quoi elle ou il a, nous l’avons vu, peu de prise immédiate) pour avoir simplement le minimum qu’il n’a jamais eu jusque là. J’ai vu en Guinée des directeurs locaux être obligés de promettre d’améliorer les écarts de genre pour obtenir carburant et papier, sans lesquels ils ne risquent pas de travailler. Ils font des plans d’amélioration, de lutte, de politique, c’est très joli. Verra-t-on des écoles sans chiottes ni tableau gagner un dictionnaire si et seulement si les résultats au certificat d’études s’améliorent ? 

Quelques mots des effets pervers : en fait, j’hésite à les écrire. Ils vont de soi. Voudrait-on donner appel d’air et officialité au clientélisme et aux arrangements honteux qu’on ne s’y prendrait pas autrement qu’avec ces fumeux contrats ou ces drôles de primes. Voulez-vous des dessins, ou cette phrase pudique suffit-elle à la compréhension de chacun ?

Le contrat ou la prime de performances conviennent, à ce que l’on dit, à la gestion du rayon sucrerie de Marks & Spencer. Peut-être enseigne-t-on cela encore dans les écoles de commerce du Dakota ou du Tarn-et-Garonne. C’est aussi utile aux écoles africaines qu’une dotation de chasse-neige ou une caisse de rouge à lèvres périmé. 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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