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République des tables-bancs
28 novembre 2013

Digression spéculative sur les pratiques sociales de référence

Situer les pédagogies dans des questions de méthodes a mené aux impasses que l’on sait. L’art de faire la classe peut se réfléchir, s’analyser, faire l’objet de recherches conceptuelles et cela est très utile, mais dans tous les cas le retour dans les pratiques est au mieux diffus, parce qu’il y a beaucoup d’imprévu dans les classes, parce que les concepts de l’analyse ont souvent peu de poids dans les trivialité des leçons ou des corrections, parce qu’enfin des instructions officielles peinent à décrire les interactions du maître et des élèves, au delà des indications nécessaires d’horaires, de finalités un peu vagues, de contenus et de quelques règles pour distinguer l’essentiel de l’accessoire.

Bref, on ne sait pas trop ce que serait une méthode pédagogique, et le saurait-on, qu’on ne serait pas plus avancé pour en faire l’alpha et l’oméga de la conduite de milliers de classes. Tous ceux qui ont tenu la craie savent cela.

Les didactiques savent nous parler autrement de pédagogie, en ce qu’elles cherchent ce qui se joue dans les disciplines elles-mêmes. Elles ne donnent pas de méthodes, dont nul ne sait exactement que faire, elles éclairent sur ce qui est enseigné et par là, nous indiquent comment il est possible de jouer sur les contenus et les programmes pour servir au mieux les fins que nous nous sommes données.

Un bon vieux concept, celui de pratiques sociales de référence, dessiné et défini par Miche Develay, pourrait bien se rendre utile aux pédagogies pratiques des écoles primaires africaines. Les pratiques sociales de référence, ce sont les activités de la vraie vie, professionnelles ou non, qui ont un rapport avec ce que l’on enseigne. On enseigne à écrire : qui écrit, quand, pourquoi, dans quel but, quelles sont les exigences ? A calculer : qui le fait, comment, est-ce mieux que s’il ne le fait pas ? Un fait est établi : tout le monde gagne (les élèves, le maître, l’école) à ce que les pratiques sociales de référence soient bien explicites et à ce qu’elles ne soient pas trop éloignées de celles qui sont ou peuvent être familières à l’enfant. Le substantif pratiques désigne des usages réels, distincts des habiletés scolaires. Le substantif référence désigne une relation et non une finalité. Il ne s’agit pas d’apprendre à dessiner et à calculer comme le menuisier pour être capable de le faire si l’on devient menuisier – il s’agit d’inviter cet usage social du dessin et du calcul dans les leçons, les activités, les exercices, de façon régulière et explicite. Les pratiques sociales de référence n’ont rien de commun avec les compétences dont nous ont avons eu les oreilles rebattues un long moment. Les compétences sont une fin, pas les références ; elles sont un objet de la construction supposée des habiletés cognitives de l’enfant et non une donnée sociale. La pratique sociale de référence est juste à la fenêtre de la classe et pas devant le tableau, on la voit dès qu’on tourne la tête, ce n’est ni une obsession ni l’avenir de la nation, mais elle existe en vrai et tout le monde la connaît.

Les visites d’écoles en Afrique subsaharienne sont l’occasion de compter ce qui manque : de la place, du confort, des livres, des tables, de la lumière, parfois pire. Si l’on écoute les leçons, si l’on souffre le martyre à voir le défilé interminable d’enfants interrogés quelques minutes au tableau, penauds et effrayés, sur l’exercice du jour, pire, si l’on met son nez dans les cahiers, on voit aussi ce qui manque aux leçons : des références à des vraies choses que de vraies gens font.

Cette absence est le nid des déceptions – on croit que l’école sert juste à faire gagner des diplômes pour travailler assis ou en costume, et ça, ça ne marche plus depuis1960 – ou bien on ne croit rien du tout et on se lasse vite. C’et le nid de l’ennui et du scepticisme des enfants et de leurs mères.

Faire référence à des pratiques sociales, c’est l’affaire des programmes, des livres et des exercices – ça se place vite entre le sens commun du métier et la directive obligatoire, parce que ça se glisse très simplement dans le contenu lui-même de ce que le maître enseigne. Pas de canal diffus, pas d’entremise de mille psychologies compliquées comme c’est le cas quand on parle de méthodes. C’est simple et direct. Si ça ne l’était pas, si les pédagogues des ministères et des instituts peinaient à trouver des pratiques sociales convaincantes à tel ou tel  point d’un programme, la solution est simple, elle aussi : ce point-là n’a rien à faire dans les programmes de la classe, ce n’est pas grave, il y a déjà tellement de choses que nul classe n’aura le temps de faire. 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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