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République des tables-bancs
10 décembre 2013

Les servitudes d’un métier de pauvre (4) : à pauvre, pauvre et demi.

Tous les instituteurs africains n’ont pas la chance d’être payés, en tout cas par l’Etat. Dans les nombreux pays où le gouvernement ne parvient pas à recruter assez d’instituteurs, les populations se débrouillent de façon autonome. Les parents recrutent directement, avec bien entendu des critères un peu différents de ceux des ministères. La présence sur place du candidat est le premier de ces critères, son sérieux – les diplômes ou capacités académiques sont bienvenus, mais sans plus. Les parents payent un peu, ce qu’ils peuvent. On arrive souvent là, au village, sur les frontières de l’économie monétaire et du troc. A un salaire de survie (on parle souvent de 10 000 francs CFA, environ, soit 15 euros par mois) s’ajoutent des sortes d’avantages en nature, on prête un champ, par exemple. Il arrive que les parents prêtent au maître même les enfants de l’école, une demi-journée par semaine, pour les travaux du fameux champ.

Tous les pays africains ne sont pas logés à la même enseigne sur ce terrain. Les maîtres communautaires n’existent pas là où l’Etat est parvenu à assurer plus ou moins un minimum de couverture scolaire avec les ressources publiques, quitte à recruter lui-même des volontaires ou des contractuels à des salaires très inférieurs à ceux des fonctionnaires. Il n’y a pas d’enseignants communautaires en Mauritanie ou au Burkina- Faso, à l’opposé, ces maîtres représentent les deux tiers des instituteurs en exercice au Tchad, presque la moitié en République centrafricaine, plus du quart au Togo, ils sont présents dans toutes les écoles du Congo Démocratique.

Les gouvernements sont désemparés face à ce phénomène. Les finances ne leur permettent pas de recruter, même progressivement, tous ces instituteurs dans la fonction publique. La République centrafricaine a essayé une politique de ce type, son expérience a montré que plus l’Etat reprenait les maîtres communautaires à son compte, plus les parents en recrutaient de nouveaux, on attendait que leur nombre baisse et il a doublé entre 2007 et 2012. D’autres pays, comme le Togo ou le Tchad, tentent de subventionner un peu les maîtres ou les communautés qui les recrutent, mais cela se heurte à de lourdes difficultés pratiques ; du fait même que ces recrutements sont spontanés et informels, ils ne sont pas faciles à suivre avec les procédures ordinaires de la bureaucratie. Les ministères expriment aussi beaucoup de méfiance vis à vis de ces maîtres qu’ils contrôlent peu, qui seraient insuffisamment formés et n’auraient pas de bons résultats. Rien n’est moins sûr pourtant. Bien entendu, ils ne sont pas passés par les écoles professionnelles, mais personne n’a jamais pu montrer par des chiffres que les résultats des enfants sont moins bons avec eux qu’avec des instituteurs fonctionnaires – les chiffres feraient plutôt supposer le contraire.

Il reste qu’aujourd’hui, on est bien en peine de trouver un gouvernement qui ait déterminé une ligne de conduite claire vis à vis de ces instituteurs communautaires, qui témoignent tout simplement de la vigueur de la demande d’éducation de la part des populations et dont la présence sonne comme un défi aux autorités : vous ne faites rien pour nous, ce n’est pas si grave, on se débrouille.

Tout reste à apprendre. Ces maîtres spontanés ont-ils par (ou grâce à) leur isolement inventé des façons de faire la classe qui pourraient intéresser l’ensemble des écoles ? Les communautés ont-elles inventé des façons de recruter et de s’attacher les maîtres, qui seraient reproductibles même pour ceux qui restent agents publics ? Préfèreraient-elles recevoir des aides et garder les instituteurs  qu’elles se sont attachés, ou bien en changer pour des fonctionnaires ? Dans l’exploration de questions de ce genre, il y a fort à parier que l’on puisse trouver quelques moyens de desserrer l’équation étrangleuse des instituteurs africains.

 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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