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République des tables-bancs
12 décembre 2013

Une histoire de filles et d’habitat

Tous les chiffres vous diront, dans n’importe quel pays d’Afrique, que la déscolarisation des filles est l’affaire de telle région, pas du pays entier. Il y a toujours quelque chose de local dans l’exclusion scolaire des filles.

C’est ici que tout un chacun évoque les mentalités, les habitudes sociales, avec un regard lourd et louche pointé sur des affaires ethniques. A demi-mot, on comprend ou on fait comprendre que telle ethnie est restée hermétique au progrès et acharnée à la défense de traditions d’un autre âge. Bien sûr, telle ethnie, puisqu’il est question de territoire, et qu’importe que les gens soient partout mélangés et que rien ne soit plus fragile à l’exploration que les questions bizarres d’identité ethnique, qui ont tout l’air de reconstructions imaginaires appelées à brouiller les compréhensions sociales. Georges Balandier se serait-il trompé, en 1957, en voyant déjà disparu l’essentiel de ces identités ?

A mentalités arriérées, politiques dites de sensibilisation, euphémisme méprisant (les gens seraient-ils dépourvus de sensibilité ?) remplaçant persuasion ou propagande, plus clairs mais plus mal connotés.

La marque de ce blog, espèrent les auteurs, est de ménager la place au doute en face des réflexes de l’analyse ou de la pensée. Alors doutons.

Allons au Fouta-Djallon, en Guinée. C’est là, de tout le pays, que les filles vont le moins à l’école – elles semblent la fuir vers la puberté, de façon assez massive. Les chiffres nous disent que c’est beaucoup de filles et que l’exclusion est très rurale : une fille rurale du Fouta n’a qu’une toute petite chance statistique d’arriver au certificat d’études. Allons-y et ouvrons les yeux, sans aller dans les écoles ni interroger personne, et surtout pas de chiffres. On peut le faire en avion, ou à moins de frais même sur Google Earth. Agriculture, maraîchage (Pita est le royaume de la pomme de terre, on en fait pousser trois récoltes l’an dans le même champ grand comme une salle de classe), élevage, haies vives et chemins creux – à quelques écarts près dans les espèces végétales, on n’est pas loin d’une Normandie d’altitude, d’une Brenne tropicale, d’une Puisaye montagnarde. Alors bien sûr, l’habitat est dispersé. Hors des localités abritant marché et sous-préfecture, les villages sont petits, plutôt des hameaux, éloignés les uns des autres de quelques grosses centaines de mètres dans toutes les directions, sans visibilité en raison du relief, des haies, de la végétation en général. Les trajets d’école sont donc un peu longs (la Guinée est de toute façon un pays de petits marcheurs e uniforme) mais surtout solitaires, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’enfants à partir de chaque hameau, et invisibles.

Allez ailleurs en Guinée, le paysage diffère, les villages sont plus grands et plus denses, les espaces agricoles ou forestiers plus vides, moins mités. Et voilà peut-être pourquoi vos filles ne vont pas à l’école. Quand elles attrapent onze ans, leurs mamans n’aiment plus la demi-heure de chemins creux qu’elles devraient parcourir seules entre chien et loup.

Libre à chacun de faire le lien qu’il voudra entre la dispersion de l’habitat, visible en photo aérienne, et l’identité ethnique des habitants, que l’on sait mal décrire. Que cette dernière existe ou non, elle peut bien sortir des raisons avancées pour expliquer l’exclusion des écolières du Fouta.

Retournons aux politiques : allons-nous dépenser beaucoup d’argent pour sensibiliser les mères aux difficultés de l’habitat dispersé, qu’elles connaissent en détail ? Ou bien réfléchir à des questions pratiques : quelles heures rendent-elles douteux les chemins creux ? L’école, les grands frères et les associations de parents ont-ils des moyens de garantir la sécurité des gamines deux fois la journée, à heure fixe ? Est-il impossible de faire du ramassage scolaire en Moyenne-Guinée ? Laissons pour l’heure les mentalités ethniques se reposer dans les beaux livres de Balandier, ceux qu’il a écrits pour recueillir leurs derniers soupirs. 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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