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République des tables-bancs
31 octobre 2014

Comment peut-on manquer d’apprendre à lire : (2) Les évidences locales à l’œil nu.

Seuls des ministères, des agents de développement ou des experts en éducation peuvent s’étonner du nombre affreux d’enfants qui manquent d’apprendre à lire dans nos écoles subsahariennes.  Les enfants, leurs mères, leurs maîtres, ont, de leur côté, les idées bien claires sur ce qui se passe et surtout sur ce qui ne se passe pas, et ne connaissent plus une seule once d’étonnement.

 

Les scandales sont locaux, ils se voient à l’œil nu, se passent de statistique et même d’analyse, ils peuvent parler d’eux mêmes.

 

A bien y regarder, ce sont très peu d’écoles publiques qui connaissent des conditions d’accueil ou de travail plus ou moins acceptables. 

 

L’œil nu du passant ou du familier suffit pour savoir qu’ici, l’école s’est ouverte avec six semaines de retard, que là, elle manque de la moitié de ses maîtres, de sorte que les enfants des petites classes sont plus de cent dans chaque salle ; deux rues plus loin, il n’y a pas de tables, dans l’école suivante, on n’a jamais vu un livre.

 

L’ironie du hasard a fait que les désordres fussent ainsi dispersés que personne n’a son compte, pas même l’école « numéro 1 » du centre de la ville, celle dont les murs remontent au temps des colonies et que fréquentaient jadis les enfants des préfets. Bref, à chaque fois que l’on voit une école, on voit aussi que ce n’est pas un endroit où l’on risque d’apprendre à lire.

 

Comme aucune école n’a eu son compte, mais que le compte de chacune diffère du compte de la voisine, il est aussi compliqué d’agir qu’il est simple de constater.

 

Les évidences sont locales et variables, c’est ça leur grand défaut. C’est ainsi qu’elles peuvent échapper aux statistiques, le grand instrument des bureaucraties, qui relèvent et consignent avant tout des moyennes. La lecture des statistiques, même studieuse, appliquée, compétente, professionnelle, attentive, partagée, contradictoire, ne dira pas dans un Ministère que là bas il manque un tableau et ailleurs une institutrice, parce que le constat, s’il est rapporté, s’est noyé dans la coloration médiocre et insipide des indicateurs d’ensemble. Le Ministère n’aura pas la sorte d’oreilles ou d’yeux qu’il faudrait pour savoir ce qu’il manque à chaque endroit du territoire.

 

Le saurait-il encore, que l’autre moitié du chemin serait rude encore. Ce qu’un ministère de l’éducation sait le moins bien faire en effet, c’est d’apporter ce qui manque exactement là où il y en aurait besoin. Il sait acheter des livres et recruter des maîtres, il sait beaucoup plus mal les faire voyager. Recrute-t-on des maîtres pour combler les manques ? Ils iront partout, sauf là où ils soulageraient les classes.

 

A l’évidence locale ne correspond hélas aucune habitude d’observation formelle ni de réponse autorisée. Notre directeur d’école, son président du comité de parents, l’inspecteur du coin n ‘auront que le maquis du marché pour faire connaître leur désarroi, s’ils en éprouvent encore le besoin. Pour le reste, on les laissera remplir des feuilles de statistiques à mélanger à mille autres pareilles jusqu’à ce que l’on soit bien sûr qu’aucun chiffre n’aura plus aucun sens, et ces feuilles seules remonteront les hiérarchies.

 

Quant aux pouvoirs qui leurs sont laissés, ils ne dépassent guère celui de faire les gros yeux aux enfants turbulents ou de coller de sales notes aux sales gosses – ils ne vont pas jusqu’à leur laisser guider les richesses du système vers le lieu de leur meilleur emploi. Pour ce genre de décision, il y a déjà tant d’experts, un Ministère tout entier, pensez donc.

 

 

 

 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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