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République des tables-bancs
16 novembre 2014

Portes ouvertes dans les collèges

Est-ce la magie des chiffres et des dates ? Voilà 2015 dans six semaines et les déclarations du millénaire ne sont plus de mode. Atteints ou non, les fameux « Millenium Development Goals » s’effacent assez vite déjà de nos rétroviseurs, que nous les ayons doublés ou non. On ne sait ce qu’il faudra regretter le plus de ces indices statistiques à deux chiffres, cette appellation si délicieuse balançant entre kitsch et prétention, ou leur rigidité mathématique à l’allure de courbes forcément ascendantes, ou encore la fascination plus ou moins spontanée qu’ils ont tenté d’insuffler à l’industrie de l’aide.

Voyons nos écoles africaines, l’unique obsession de ce blog. Voici quinze ans, ce que l’aide pensait pour elles avait une belle clarté, à défaut d’être facile : elles devaient tout simplement accueillir tous les enfants du pays et les garder au moins le temps qu’ils y terminent leurs études primaires, censées conférer une alphabétisation définitive, un viatique pour tous. Simple et clair, un peu rapide sans doute, mais fédérateur et plus ou moins plausible. 

Pour y parvenir, nos écoles ont sans doute manqué d’argent, mais pas de conseils. Les agences d’aide ont délivré tout leur savoir : modèles de simulation financière, calculs de planification, indications voire injonctions sur le type des écoles, le genre d’instituteurs que l’on devrait y trouver, la façon de les payer et le montant optimal de leur salaire. Des grandes équations très plausibles et assez simples avaient le grand mérite de s’imposer dans le paysage mental de tous, gouvernants, fonctionnaires, consultants, financiers. Peu de contestations, à l’exception d’Aminata Traoré qui, comprenant la baisse des salaires des maîtres que tout cela impliquait, en concevait de l’inquiétude – mais les technocrates n’écoutent pas plus Aminata Traoré que les gouvernants. 

Sans doute, les scolarités primaires ont manqué l’universalité dans presque toute l’Afrique subsaharienne francophone (en fait, ce n’est pas presque),  et beaucoup d’enfants semblent ne pas avoir tiré grand profit de ces années de classe, si l’on en juge par les mesures des tests. Mais tout cela n’a pas si mal fonctionné pour autant et en tout cas, ce sont désormais partout des cohortes très massives de jeunes adolescents qui, parvenus chacun pour lui-même à atteindre son MDG scolaire personnel, poussent les portes des collèges.

Trois fois dans la même semaine, j’apprends que tel ou tel pays que je connais bien n’a plus voulu maintenir les examens ou les concours d’accès à la sixième, tant la pression était puissante, tant le risque de provoquer de l’amertume et de la colère dans les familles était brulant. C’est aujourd’hui le cas du Niger, du Tchad, du Burkina-Faso. Dans ces pays, on est pourtant loin encore d’avoir assuré la classe pour les deux tiers des enfants de l’âge du primaire – mais sans doute il n’y avait pas d’autre choix.

Hélas, de quels collèges parlera-t-on ? En vrai, il en existe en ville, qui sont déjà plein et n’ont comme professeurs que des vacataires dépassés et payés de temps en temps et dans les brousses, il n’en existe pas. Ne parlons même pas des banlieues, ces endroits mal connus où habitent des gens. S’il n’existe pas de collège, ce ne sera pas bien grave, pensent les autorités, on reprend les classes de l’école pour faire collège les après-midis, tandis que les petits se contenteront du matin, ou bien on construit en paille. Les profs, on les louera sur la place du village et on réfléchira très fort à s’efforcer de les payer.

Ah mais tiens ! Où sont les MDG d’aujourd’hui, qui nous diraient où est le raisonnable et quel prix il coûte ? Où, surtout, sont les conseils de l’industrie de l’aide ? Celle-ci semble n’avoir rien à dire sur la question, du moins je ne l’ai pas encore entendue. Les MDG sont passés de mode, de toute façon – il semble bien que les équations financières et la pédagogie aussi, on n’en trouve plus beaucoup de trace dans les dialogues sectoriels nationaux. Alors, les collèges, eh bien, qu’ils se débrouillent.

Il se passe que nos MDG démodés ont fait que des millions d’enfants et leurs parents veulent maintenant des collèges. Ils sont souvent banlieusards, leurs familles ont rétréci, ils ont treize ans et personne ne veut les laisser à la rue. Les gouvernements font ce qu’ils peuvent, pauvres d’argent et encore plus d’idées : à chaque rentrée, dans l’urgence, on bouche les trous les plus béants et on fait patienter. Les conditions de travail se dégradent aussi bien dans les collèges que dans les écoles qui prêtent leurs maigres ressources. Les ministères annoncent, sans prudence mais sous la contrainte, que les portes seront désormais grandes ouvertes. Sur le vide, peut-être, mais grandes ouvertes. Il n’y a pas de service après-vente des MDG.

Tout le monde savait que cela allait se produire, tout cela avait été écrit. Modestement et entre autres, par moi-même et par mon ami Jean-Marc Bernard, en 2005, chez De Boeck.

Tout le monde sait que le collège à la française ne fera pas l’affaire, parce qu’il est trop cher et parce qu’il répond mal à ce public enseigné à la hâte, sans soin excessif au primaire et qui vit de toute façon ses dernières années de scolarité. Tout le monde sait que les bricolages par lesquels on a pu ouvrir des écoles rurales, le multigrade, les recrutements alternés, ne peuvent plus fonctionner pour des collèges et qu’il va bien falloir inventer autre chose et se décider enfin à faire du transport scolaire, quoiqu’il en coûte.

Et quoi ? Les MDG sont dépassés, l’industrie de l’aide n’accorde à tout cela qu’une attention distraite et devient avare de recherche et d’idées. Tandis qu’elle continue à s’agacer contre des gouvernements qui, décidément, font bien trop peu d’anticipations. Et tandis que par grandes vagues chaque année, des adolescents africains arrivent dans des collèges où rien ne les attend, qui aurait un rapport quelconque avec une éducation qui pourrait les concerner. 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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