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République des tables-bancs
14 janvier 2015

Les écoles primaires africaines pourraient-elles éduquer à la paix ?

 Il y aurait à parier que quand de nombreuses bonnes âmes en appellent aux écoles pour apporter leur pierre à un édifice social (« Tout passe d’abord par l’éducation » entend-on alors dire à ceux qu’un micro tendu a trouvés désemparés et sans imagination), c’est que la mission nouvelle qu’on va leur refiler appartient à la catégorie des vœux rhétoriques restés en suspens depuis le temps d’Abel et Caïn. De la prévention de l’obésité à celle de l’alcoolisme ou des conflits, la bonne éducation fait un bon déversoir pour les grandes questions que nul ne sait à résoudre, comme s’il allait de soi qu’au delà l’instruction qu’elles peinent déjà à délivrer, les écoles avaient un monopole sur l’éducation des petits hommes en général et sur ce que cette éducation a de moins trivial en particulier.

La crise centrafricaine et les exploits spectaculaires de fous fanatisés ont en commun de susciter le même genre d’invocations : à l’éducation de nous mettre à l’abri de l’intolérance, des conflits, des guerres et des violences, singulièrement là où pauvreté et misère  font à vue d’œil le lit de ces calamités, par exemple en Afrique.

Ce n’est pas ici que nous allons ergoter sur la pertinence de ces injonctions adressées aux écoles, c’est un peu difficile et inconfortable, mais surtout ça n’est pas le moment propice en janvier 2015.

Posons plutôt la question suivante : les écoles africaines pourraient-elles se charger d’une mission de ce genre ? (Il faut bien l’écrire au conditionnel, c’est le mode de conjugaison qui convient aux faits qui ne sont pas advenus.)

Ceux qui réfléchissent peu au sens de leurs injonctions, parce que peut-être ils ne sont pas en charge d’y répondre, en appellent le plus souvent à des contenus plus ou moins nouveaux d’enseignement : l’instruction à la paix formerait une sorte de leçon de gens, pendant pratique de la leçon de choses, que l’on a d’ailleurs versée aux oubliettes. Il y aurait peu à attendre d’une approche de ce genre, tant est grand l’appétit des classes africaines pour les savoirs déclaratifs et chosifiés, pour la récitation. On aurait vite des ribambelles d’enfants défilant au tableau sous la férule pour remplir à la craie une phrase à trous avec le mot « tolérance ».

On peut avancer en revanche que l’instruction sans peur et sans stress serait déjà un double progrès : progrès pour le comportement des enfants, qui apprendraient alors à énoncer calmement ce qu’ils pensent devoir l’être et à ne pas tenir pour vrais les seuls propos appuyés par la chicotte ; progrès sur les comportement sociaux qui font encore souvent trop peu de cas du respect des enfants. Dans la suite, des séquences en classe où il deviendrait possible aux enfants d’énoncer et d’entendre successivement deux affirmations contraires et d’avoir à débattre avec sérieux de l’écart constaté constituerait aussi un grand progrès dans les préalables de l’éducation des comportements.

Il reste malheureusement que cela ne saurait être attendu de classes où le nombre d’enfants est le triple de ce qui est décemment acceptable, dont le temps de travail est la moitié de ce qu’il faudrait pour simplement apprendre à lire et compter, et dont le surpeuplement, la surchauffe, la crasse et la sonorité n’ont comme mécanisme régulateur que les cris du maître et les coups de sa chicotte. Alors oui, les écoles africaines pourraient bien faire tout cela, si leurs conditions matérielles de travail devenaient d’abord décentes.

L’école ne se résume pas à la classe. Ce qui s’y passe dépend aussi des décisions de l’autorité publique qui se charge de l’organiser. De ce point de vue et dans les réalités africaines d’aujourd’hui, il pourrait se trouver une contradiction sévère entre l’injonction à préparer la paix et celle à promouvoir les langues d’usage. La promotion des langues d’usage, si elle devait se traduire en autre chose qu’en de charmantes expériences, nous ferait des écoles dans lesquelles l’inscription des enfants serait fondée sur la langue ou l’ethnie, tandis qu’en face de l’école des politiciens sans vergogne agitent les drapeaux ethniques pour diviser les peuples : c’est, on peut le craindre, un avenir qui aurait à se passer de la paix sociale et politique. 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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