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République des tables-bancs
16 janvier 2015

Dessiner à l’école primaire

Entre instruire et éduquer, le maître imaginatif peut toujours caser quelques séances de dessin qui le tireront des divorces lancinants de finalités où sa profession le jette souvent.

Dessiner instruit, on s’instruit en dessinant. A l’âge des lignes hésitantes de a et de e, de bâtons et de ronds, le dessin, diront ceux qui aiment l’habiller de vocabulaire, est une belle porte intuitive vers la pensée symbolique. En Afrique subsaharienne, depuis que des enquêtes de ménages se penchent sur l’état des enfants de cinq ou six ans, on sait qu’ils sont nombreux, les gosses ayant échappé jusque-là à toute entrée dans le monde des lettres, des nombres, des chiffres et des symboles. C’est ainsi, nul ne peut le leur reprocher, leurs jeux ont peut-être été riches, mais pas de cette richesse qui prépare à des apprentissages ardus, et les parents avaient bien d’autres gosses à fouetter plutôt que se mêler du développement des aptitudes cognitifs de leurs héritiers. C’est différent du Canada ou de l’Europe, où le bambin atteint l’école juste pour mettre en ordre des mécanismes de pensée déjà bien travaillés, stimulés, observés et parfois même savamment installés pour produire de bons effets scolaires.

On n’accède pas aux symboles sans en fabriquer – le dessin, à la différence des lettres ou des nombres, autorise que l’on crée ceux que l’on veut, ou à peu près.

Pour les plus grands, débrouillés déjà dans leur métier d’écolier, le dessin pourra aller plus loin. Un peu formel, il permet de tâter des questions compliquées de proportions, pour lesquelles le seul calcul mène à tant d’embrouillamini : dessiner le tiers ou le quart, le reporter sur une autre grandeur, ça marche plus souvent que de le calculer. Les perspectives, aussi, lignes de fuite ou cavalières ou ce qu’on voudra, disent que les choses ne sont pas ce qu’elles montrent en façade seulement, que lorsqu’on les porte dans l’espace, elles ont vraiment toute autre allure – question de point de vue qui commande la perception, une découverte difficile que l’on ne fait que par l’expérience.

Dessiner éduque, on s’éduque en dessinant d’une autre façon qu’en lisant ou en calculant. Le maître ne peut pas demander que l’on apprenne ou que l’on récite, le dessin n’est pas un art déclaratif. C’est à peine si l’on peut lui donner des notes : pensez alors s’il est bien différent des bouts de machins chosifiés propres au par-cœur qui peuplent le quotidien des classes. Imaginez même qu’il se pourrait que le mauvais élève, le boute-en-train, le traînard, dessine bien, mieux peut-être que les appliqués du premier rang. Tout ça mis bout à bout, c’est une affaire à faire descendre le maître de son estrade et à lui faire oublier sa chicotte et son crayon rouge.

Dessiner ne demande à la fin que de petits moyens – à l’exception, bien entendu, d’un effectif raisonnable dans la classe, ce qui n’est pas le lot de toutes. Inscrire le dessin dans les programmes des classes primaires africaines pourrait bien porter plus de changements que des soi-disant réformes pédagogiques annoncées par des fanfares, bénies par des spécialistes et accompagnées de séminaires très savants.

 

 

 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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