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République des tables-bancs
7 novembre 2018

Des petits malaises collectifs sans importance

 

C’est une petite dépêche sans importance, du genre qui ne retient pas l’attention.  Le 25 octobre, RFI rapporte « une scène d’hystérie collective non expliquée » survenue la veille, à Brazzaville : une quarantaine d’élèves d’un collège et d’un lycée, presque toutes des filles, se sont évanouies peu après une visite de la Ministre de la Jeunesse. On apprend plus tard que le lendemain, une scène similaire s’est produite dans un autre collège de la ville, qui n’avait pas reçu de visite ministérielle. Ça ne retient pas beaucoup l’attention, sauf que cette histoire réveille deux souvenirs récents. En avril, je visitais un collège surpeuplé d’une petite ville du Nord de la Côte d’Ivoire et vers le milieu de la matinée, plusieurs filles tombent en syncope simultanément dans la cour, au moment de la récréation. Il faisait chaud, le collège était tendu, peut-être à cause de la visite. Le directeur avait agi vite et sans doute bien : il avait transporté lui-même les cas les plus sérieux à l’hôpital et ordonné aux professeurs de distribuer dans l’instant de l’eau fraîche sucrée à tous les élèves et de reprendre les cours sans attendre. Nous n’avons pas attaché tellement d’importance à l’incident : la chaleur, sans doute, l’excitation, peut-être de l’hypoglycémie, pas mon affaire en tout cas.  Début octobre, dans un autre pays d’Afrique de l’Ouest, un directeur de l’administration centrale fait état, au détour d’une conversation, d’incidents de ce genre qui surviennent parfois dans le pays et pour lesquels nul ne sait trop la conduite à tenir. 

 

La dépêche de Brazzaville, en résonnance avec ces deux souvenirs récents, m’envoie donc sur la toile. Recherche vite couronnée de succès. Le phénomène n’est ni rare ni nouveau. Sans prétendre à une quelconque exhaustivité, sans recherche acharnée (quarante minutes sur la toile tout au plus) et à ne s’en tenir qu’aux cas directement rapportés sur un média numérique, voici la bonne pêche :

 

 

Sénégal, Kolda, 23 novembre 2017

https://sunubuzzsn.com/actualites/djinne-maimouna-reapparait-dans-les-etablissements-scolaires-kolda/

 

Sénégal, Matam, 25 avril 2013

https://www.setal.net/Djine-Maimouna-visite-le-lycee-de-Doumga-Wouro-Alpha-Les-jeunes-filles-tombent-en-transe_a13948.html

 

Bénin, Porto-Novo, mai 2008

https://www.afrik.com/benin-les-autorites-calment-la-colere-du-fetiche-odoudoua

 

Guinée, Labé, 15 octobre 2017

https://guineematin.com/2017/10/15/college-konkola-labe-plus-de-30-filles-tombees-syncope/

 

Lycée Kanel, Matam, Sénégal, 4 mars 2010

https://www.xibar.net/DJINNE-MAIMOUNA-AU-LYCEE-DE-KANEL-Recital-de-Coran-pour-chasser-l-esprit-malefique_a22220.html

 

Kaolack, Sénégal, 21 mars 2017

https://www.bonjourdakar.com/retour-de-djinne-maimouna-15-filles-transes-a-kaolack/

 

Même endroit, janvier 2018

 

http://sanslimitesn.com/djine-maimouna-lycee-technique-de-kaolack-crises-dhysterie-se-multiplient-15-filles-etaient-tombees/

 

Tambacounda, Sénégal, 2012

http://www.seneweb.com/news/Societe/le-phenomene-laquo-djinne-maimouna-raquo-refait-surface_n_65436.html

 

Agadir, Maroc, 10 avril 2018

https://agadirmichelterrier.wordpress.com/2018/04/10/

 

Il ne faut pas s’attarder sur la surreprésentation du Sénégal, elle vient peut-être du hasard ou de la forte présence de médias en ligne de toute nature, même locaux, dans ce pays. 

 

Ni rare, ni récent, donc. Peu étudié cependant. Les consultants souvent appelés au chevet de collèges subsahariens et à la fabrique des stratégies sectorielles n’ont jamais été saisis formellement de ce phénomène, qui n’entre évidemment pas dans les catégories statistiques, pas plus que la chaleur, le bien-être ou l’hypoglycémie de fin de matinée. 

 

Des chercheurs sénégalais ont publié un papier intéressant en 2009 (Crises hystériformes collectives, crise scolaire, crise sociale et nouvelle problématique de la féminité au Sénégal, Idrissa Ba, directeur de l’étude, Evelyne Miquel-Garcia, Sokhna Ndiaye, Papa Lamine Faye) à propos d’une « vague de crises d’agitation psychomotrice hystériforme touchant quasi exclusivement les jeunes filles, plus particulièrement celles des collèges et lycées. » Ce sont des psychiatres. Ils mettent en cause une attitude hyper protectrice de la société sénégalaise vis-à-vis des jeunes filles, la forte pression pesant sur les enseignants et les élèves (dégradation des conditions d’accueil et de la qualité des enseignements, faiblesse des résultats aux examens) et l’absence de lieux de parole ouverts dans les établissements scolaires. 

 

En 2013, au Burkina-Faso, l’UNICEF a fait réaliser une étude par le Dr Aïcha Tamboura Diawara, qui englobe la question des évanouissements collectifs et celle des grossesses précoces non désirées, comme étant deux manifestations visibles d’un phénomène plus large de vulnérabilité des adolescentes. Cette piste est sans doute réaliste. Le papier n’est pas en ligne, on n’en trouve que des résumés. 

 

La littérature psychiatrique et psychologique n’est pas très riche non plus sur les malaises de masse sociogéniques ou troubles anxieux névrotiques collectifs. Cette pathologie n’a pas droit de cité dans les classifications internationales. Un papier leur est consacré en 2002 dans le British Journal of Psychiatry (Protean nature of mass sociogenic illness, Bartholomew et Wessly). Les auteurs donnent des témoignages de manifestations de ce type remontant jusque dans le haut Moyen-Âge, ils indiquent que le plus généralement des causes externes sont invoquées à titre d’explication, ce qui, de leur point de vue, masque la réalité des origines psychiques de ces malaises et mène à la pauvreté des études. Un papier plus ancien du Bulletin de la santé mentale au Québec (« Va te faire soigner, ton usine est malade : la place de l'hystérie de masse dans la problématique de la santé des femmes au travail », janvier 1990, Brabant, Mergler et Messing) parvient aux mêmes conclusions. 

 

L’imputation d’une cause externe est classique dans les cas scolaires qui nous intéressent et dans les brèves narrations que l’on en trouve sur la toile. Il est même frappant de voir fréquemment invoquer des causes surnaturelles (Djinns, démons, esprits) et de relever des réponses allant dans ce sens (nuits de prière, désenvoûtement, arrachage d’un arbre maudit, etc…). 

 

Je ne suis en aucun cas qualifié pour m’aventurer dans des débats ou des études psychiatriques. Du bref tableau qui précède, je m’autorise quand même à tirer quelques conclusions.

 

1°) Il serait utile de relever de façon systématique les cas de malaises collectifs dans les établissements scolaires de façon à avoir une idée de leur fréquence. Manifestement, un petit tour sur la toile n’y suffit pas et les autorités scolaires ou sanitaires ne disposent pas d’un système de collecte à ce sujet.

 

2°) Il serait aussi bien utile d’accompagner les chefs d’établissements sur les conduites à tenir en pareil cas et d’éviter, dans tous les cas, que l’école serve de caisse de résonnance à des explications surnaturelles et à des superstitions. L’école est justement là pour l’inverse !

 

3°) Les filles pâmées sont sans doute le lieu du symptôme, mais le collectif de la pâmoison comme la répétition indiquent que les collèges et les lycées doivent aussi être malades.  

 

4°) La seule chose claire, enfin, dans ces histoires est que les collégiennes et les lycéennes ont quelque chose à dire qu’elles ne savent ni ne peuvent dire. Leurs corps le font pour elles, collectivement, par une contagion signifiant à n’en pas douter un ensemble bien emmêlé de malaise et de fragilités (« Je suis de ceux qui sentent très-grand effort de l'imagination. Chacun en est heurté, mais aucuns en sont renversés. (…) La vue des angoisses d'autrui m'angoisse matériellement », écrivait Montaigne (Essais, I, XX, De la force de l’imagination) : voilà pour la contagion du cas index aux autres victimes).  Nous disposons d’une foule d’études qui se penchent sur les raisons pour lesquelles les adolescentes quittent l’école. Ces études nous répètent à l’envi que c’est question de pauvreté, de ruralité et de mentalités. Mais nous savons peu sur ce que vivent celles qui restent dans les écoles et pourtant, elles essaient souvent de nous le dire, sans y parvenir.  Cela ne doit pas être sans importance pour elles. 

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