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République des tables-bancs
27 juin 2013

Robert François s'impose à la cantine, il se souvient de celles de Timbi-Madina

Notre village ignore la faim.

 

Timbi-Madina a beau être la capitale de la pomme de terre, il semble bien qu’on y ait faim. Non que les pommes de terre y aient refusé soudain d’y pousser, ni en raison d’un cataclysme naturel comme en en voit partout ailleurs. Timbi-Madina est une petite sous-préfecture du  Fouta-Djallon, non loin de Labé,  à plus de mille mètres d’altitude en plein centre de la Guinée. Il y pleut beaucoup, la terre est rouge sous les broussailles, et dans les fonds de vallée, on tient des rangs bien hauts et droits de pomme de terre, des petits champs de fonio, des jardins de piment, tous clôturés à cause des vaches. C’est le plein pays des peuhls, le cœur de leur ancien royaume théocratique. On s’appelle ici Diallo, Saw, ou Barry, mais certainement pas autrement, et on compterait autant de vaches que d’habitants, si l’on prenait la peine de compter les uns ou les autres. Et au moins trois manguiers pour chaque vache. 

Timbi-Madina offre plusieurs mosquées, un modeste bâtiment abritant la sous-préfecture, un vaste quartier d’hommes en tenue et en béret, et même un restaurant, que je ne conseille à personne. On y sert du riz, et non des pommes de terres, et si vous demandez du lait, on vous apportera une conserve minuscule et rouillée importée en son temps des Pays-Bas. Le téléphone mobile vient de s’installer, si l’on ose dire, avec pas moins de trois compagnies qui, du coup, ont repeint alternativement à leurs couleurs, violet, vert pomme et orange, toutes les boutiques de la ville, bardées surtout de bidons dépliés, qui sans cela seraient uniformément ocre. 

Mais on a faim à Timbi-Madina. Il y a même eu des émeutes, en janvier 2007, et pas des moindres, si l’on en croit les vestiges des bâtiments publics, entre le restaurant Le Paysan et les boutiques violettes, oranges et vertes. Un petit air de ruine a marqué pour longtemps les bureaux des rares fonctionnaires du bourg, tôles parties, murs noircis. Qui ont pu être les émeutiers ? On ne voit ici que de paisibles hadj à la barbiche blanche, en vélo, qui se saluent en se croisant (Diarama ! Diarama !),  des femmes affairées qui empilent des bassines et des marmites, les lavent et les portent, et des gamins qui courent bien vite après les vaches, quand la nuit tombe. Qu’ont-ils essayé de faire ?  A Conakry, c’était alors une révolte contre les prix, les pénuries, et contre un vieux président fatigué. Peut-être était-il plus ou moins question de le renverser. Mais ici ? On raconte même que dans un village proche, les émeutiers, faute du moindre bâtiment public à chahuter, ont mis le feu ce jour là à une forêt de pins.

La faim, bien sûr. Elle a dû être exaspérante, au milieu des carrés de pommes de terre et de fonio. Amartya Sen a connu les dernières grandes famines de l’Inde, et nous a plus tard expliqué que la famine va bien de pair avec l’abondance de vivres. Si l’on veut être sûr qu’il dit le vrai, il suffit d’aller aujourd’hui dans le Fouta-Djallon. Un pouvoir kleptocrate, une administration cynique et incompétente qui lui doit quelques miettes, et le tour est joué pour longtemps, en dépit des pluies, des montagnes, des piments et des vaches. Le peuhl ne pourra ni payer ni manger ce qu’il produit, c’est une loi locale des sciences économiques. 

Les organisations globales savent tout cela, et savent aussi pallier. Avec gentillesse, de surcroît. Dans le Fouta, le PAM (Programme alimentaire mondial), ce vieux copain des gens de mon espèce, a ouvert des dizaines de cantines d’école, ou même plus. On fait d’une pierre deux coups, les enfants mangent, et ils vont à l’école. Mais c’est un peu difficile à organiser, de faire venir des denrées dans les campagnes, par des pistes de latérite, de les faire distribuer par des mamans robustes et honnêtes, et de ne pas gâcher les restes.

Comme le PAM est global et moderne, qu’il croît au développement des techniques, il a planté, dans toutes les cours d’école, des petites boîtes en acier, sur des poteaux. Ce sont des émetteurs satellitaires. A l’heure de la soupe, on ouvre la petite boîte, et on raconte au satellite combien d’enfants sont venus aujourd’hui, si les plats sont bien arrivés, ce qu’on fera des restes. On doit pouvoir même dire merci. 

C’est ainsi que notre village ignore la faim.

 

 

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