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République des tables-bancs
10 juillet 2013

Abécédaire : holistique

Holistique

Se dit d’une théorie qui s’intéresse à son objet comme constituant un tout. Désigne donc celui qui l’emploie comme anti-cartésien. Autrefois rare et précieux, cet adjectif fait aujourd’hui une percée dans la littérature grise des programmes sectoriels. Sa place d’élection est dans les introductions, en compagnie des déclarations de principes. Il qualifie souvent le substantif vision, pour donner vision holistique, expression dans laquelle holistique efface, on l’espère, la connotation mystique ou religieuse de vision.

Quand une théorie est holistique, elle pose en hypothèse que les diverses parties de l’analyse ne prennent de sens qu’en relation avec l’ensemble. De ce point de vue, l’adjectif holistique est proche de son voisin systémique, tous deux qualifiant des pensées complexes. Holistique vient de la psychologie, systémique est né dans la thermodynamique et a prospéré dans la sociologie. 

Des programmes politiques ne sont pas des théories, ils ne cherchent pas à expliquer le comportement d’un système scolaire, à nous dire pourquoi les enfants quittent l’école ou les raisons pour lesquelles ils apprennent mal le calcul.

Une analyse holistique ou complexe de ces difficultés, par exemple, consisterait à refuser des explications causales circonscrites et directes (l’enfant apprend mal parce qu’on ne lui enseigne pas bien, il quitte l’école parce que son père n’est pas assez riche) pour renvoyer à des ensembles étendus de relations entre des jeux d’acteurs et des contextes, en considérant que tout le contexte est dans le jeu de chacun et que l’ensemble des jeux forme un contexte.

Les travaux du sociologue Michel Crozier, en France, ont eu cet intérêt d’analyser des calamités bureaucratiques comme n’étant pas des séries de dysfonctionnements, mais plutôt comme le produit des stratégies d’acteurs. Ce genre de travaux s’est révélé très fertile comme terreau pour des travaux de recherche stratégique permettant à des grandes organisations de surmonter leurs difficultés.

Un programme politique peut-il être systémique ou holistique ? Certainement, il pourrait s’appuyer sur une analyse systémique du comportement d’un système scolaire et de ses acteurs. Il faudrait pour cela qu’il y eût des analyses systémiques, ou holistiques. Ces analyses nous diraient par exemple en quoi le comportement professionnel des maîtres est une réponse ou une adaptation à un ensemble de contraintes, dont certaines tiennent au système et d’autres moins. L’assiduité du maître ou son défaut, sa performance, sa façon d’évaluer le travail des enfants et la normalité de son comportement seraient mises en miroir d’un ensemble holistique : la relation entre sa place sociale, son mode de recrutement et son salaire, l’équation financière de son ménage et son deuxième emploi, ses représentations de l’avenir, son exposition aux injonctions des familles et des hiérarchies, son insécurité linguistique. Une politique qui prendrait là sa source tenterait un jeu sur plusieurs de ces facteurs, tous ceux du moins qui seraient éventuellement à la portée des actions administratives, réglementaires ou financières.

Mais tout cela, au lieu d’être simplement complexe, si l’on ose dire, est aussi vaguement compliqué. Les analyses holistiques sont rares, si même il en existe dans le domaine, et la mode des chiffres en tient plutôt pour l’examen des relations binaires entre une grandeur et une autre (il n’y a pas de relation entre le salaire du maître et la réussite des enfants, nous serine l’analyse depuis vingt-cinq ans), en laissant avec un peu de complaisance un doute sur l’identité entre une relation statistique et une relation causale.

Symétriquement, les moyens d’agir les plus proches des administrations scolaires permettent au mieux de mettre une réponse unique en face d’une question simple. Les maîtres ne veulent pas aller en brousse, qu’on leur donne une prime pour cela ; ils ne sont pas assidus, qu’on les contrôle. Une politique des enseignants qui voudrait s’inspirer de l’holisme devrait aussi respirer un autre oxygène que celui du statut général de la fonction publique et de la réglementation des avancements de carrière.

Les programmes sectoriels se construisent plutôt autour de binômes rassurants. L’accès commande l’investissement, la qualité demande des formations et quelques autres intrants, le désordre de la gestion appelle des règlements nouveaux et des renforcements de capacités. Ces binômes se déclinent, ressemblants sans être identiques, pour chaque segment du système, la maternelle, l’école primaire, l’école secondaire, l’université. Les problèmes sont des dysfonctionnements ou des insuffisances, pas des symptômes, leur solution est à proximité de l’endroit où on les constate. A chaque problème sa solution.

Alors non, il n’y a rien de holistique dans tout cela, ni dans les analyses ni dans les politiques que l’on peut lire. Rien de systémique, rien de complexe.

L’adjectif est seulement appelé dans les textes en alternance avec sectoriel, afin d’éviter des répétitions. Le souci qui préside à son emploi n’est pas seulement littéraire. Il signifie que le rédacteur a vérifié qu’il n’avait oublié personne, parce que l’oubli, il le sait, lui serait sévèrement reproché – mais pas la simplicité de l’analyse. Il ne parlera pas d’un tout mais seulement du sort réservé à chacun des éléments qui le composent.

 

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