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République des tables-bancs
16 juillet 2013

Abécédaire : les flux

Flux

Ce mot est emprunté au vocabulaire de la physique et de l’hydraulique pour désigner, en éducation, le mouvement ascendant des cohortes à travers les différents échelons du système éducatif. La cohorte est un ensemble théorique d’enfants inscrits au même moment en première année d’école. La métaphore est filée lorsque l’on écrit qu’un cycle scolaire, comme le collège ou le lycée, subit la pression des flux en provenance du cycle précédent, cela signifie simplement que les établissements doivent accueillir un nombre croissant d’enfants, qu’ils le veuillent ou non.

L’anticipation des mouvements ascendants dans le système scolaire est une nécessité triviale pour la planification, faute de quoi le risque est d’accueillir sans avoir prévu et donc, dans de mauvaises conditions. Les techniques de l’anticipation sont très simples : il s’agit de projeter des effectifs sur la base de la répartition habituelle de chaque cohorte, à chaque palier du système, entre ceux qui passent dans la classe supérieure, ceux qui redoublent et ceux que l’on ne retrouve plus et dont on dira qu’ils ont abandonné. Par prudence, le planificateur préfère anticiper que plus d’enfants seront promus dans l’avenir, et qu’un peu moins en proportion redoubleront ou abandonneront.

Malheureusement, les calculs des planificateurs sont une source d’angoisse pour les gestionnaires. A mesure que les politiques favorables à l’éducation pour tous portent leurs fruits à l’école primaire, le nombre de jeunes qui se présentent dans les collèges, les lycées et les universités croît. Or, il est beaucoup plus cher d’accueillir un jeune dans le secondaire et dans le supérieur qu’à l’école primaire, de sorte qu’il en résulte en peu d’années un grand déséquilibre dans les finances, l’argent se mettant à manquer pour les écoles primaires. On s’inquiète aussi de ce que le pays, souvent, n’a pas besoin d’un nombre massif de bacheliers ou de licenciés et que du reste, la qualité de ces formations est déjà sujette à caution.

D’où l’idée ingénieuse de réguler les flux. Il suffit de passer le pas qui sépare l’anticipation de la gestion, l’hydraulique de la plomberie. Ce serait tellement confortable pour tous si une partie seulement des collégiens allaient au lycée. La solution est tellement confortable qu’elle a sa place, depuis dix ans, dans presque tous les programmes politiques des pays subsahariens, sous la pression amicale et vigilante de leurs bailleurs de fond, qui restent attachés à ce que l’argent reste d’abord orienté vers les écoles primaires tant que tous les enfants ne sont pas servis, ainsi qu’à l’idée un peu vague selon laquelle les plans doivent rester soutenables. On promet donc à tour de bras que décidément et dorénavant, les flux ne connaîtront pas de dérive et seront régulés avec sérieux et sur la base des calculs de taux à deux virgules que l’on a mis dans les modèles de simulation.

Pourtant, la métaphore plombière fonctionne mal. C’est qu’il n’y a pas beaucoup de robinets dans le bureau du planificateur. Dans les faits, les enfants sont promus à la note, ce qui signifie que chacun des milliers d’enseignants du pays régule des flux à sa manière, dont il garde jalousement la maîtrise. Quant au découragement, qui mène à l’abandon, ou aux ambitions, qui mène à la poursuite des études, ils sont assez impropres à la régulation. D’une certaine manière, s’il y a des flux, ceux-ci relèvent plus d’un fait social que d’une planification. Dans les pays sahéliens, la grande sécheresse des années soixante-dix a gonflé les flux pendant que les gouvernements couraient derrière en construisant comme ils pouvaient les salles de classes qui n’avaient pas été utiles tans qu’il restait de l’herbe et des troupeaux.

Entre certaines années de la scolarité, il y a des examens : sont-ils, eux au moins, une occasion de réguler ces fameux flux ? Il n’est pas certain qu’une administration puisse faire en sorte que des résultats d’examen s’ajustent bien à une planification d’effectifs, seule la pratique du concours permet de faire cela. Mais avant même cela, la régulation des flux par un examen mettrait en lumière l’ambigüité du rôle qui lui est dévolu. En effet, un examen permet à la fois de sanctionner positivement la réussite des études que l’enfant a menées jusque-là et de permettre l’accès au cycle supérieur. Si la planification souhaitait qu’une petite proportion d’écoliers accède au collège ou de collégiens au lycée, il faudrait que la plupart des candidats ratent l’examen. Parmi les recalés figureraient nombre d’enfants qui auraient malgré tout tiré profit de leurs études et un tel résultat deviendrait à la fois injuste et décourageant. Demander à un examen de réguler des flux, ce serait renoncer à lui faire reconnaître la maîtrise finalement décente par une majorité d’enfants du minimum de connaissances attendues à la fin d’une scolarité.

Réguler les flux apparaît donc comme une idée sans prise facile sur la réalité. La raison première en est que la fréquentation scolaire est plus un fait social que le résultat d’une politique. La raison seconde tient à ce que l’école a un devoir minimal de reconnaître le fruit des scolarités qu’elle a offertes, sans quoi elle devient inique et tisse elle-même la corde qui la fera pendre.

Un peu de recul serait utile avant de sauter le pas de l’hydraulique à la plomberie. Deux questions préliminaires peuvent éclairer ce que peut et doit faire une administration face au fait social scolaire qu’elle a du mal à suivre. Sur quoi avons-nous prise et que devons-nous laisser faire ? Quelle est la partie de l’éducation qui est guidée par le droit de chacun à recevoir un enseignement, et quelle est l’autre partie où la règle du meilleur qui gagne devient légitime ? Cette question-là est l’objet d’autres débats.

 

 

 

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