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République des tables-bancs
6 septembre 2013

Abécédaire : les ministères

Ministères

Le visiteur d’un ministère subsaharien de l’éducation a trop à faire, en général, pour laisser sa naïveté le questionner, sur le mode « Est-ce ici que cela se passe, que se passe-t-il ici ? ».  Il y aurait pourtant matière à s’arrêter un moment sur des observations brutes et à laisser parler son étonnement, si l’on voulait mettre à jour quelques malentendus sur les institutions publiques.

A première vue, on ne sait pas encore si c’est là que ça se passe, mais il est vite certain que rien ou peu a été fait pour cela. Il devient difficile de trouver des institutions marquées de tant d’inconfort et de sous-équipement ; on n’en trouve aucune, en tout cas, qui emploie des gens par dizaines de milliers et qui soient ainsi logées. Immeubles délabrés parfois privés d’électricité, couloirs surchargés d’archives inexploitables et de rebuts divers, mobilier d’un autre âge, surpeuplement des bureaux, rareté de la lumière et de l’air, équipement hétéroclite et vieillot. On comprend vite d’ailleurs que ni la poste ni un réseau électronique ne relient les bureaux entre eux ou au monde. Les seuls téléphones qui fonctionnent sont des GSM, les numéros donnent accès aux personnes, pas aux services.

Ce premier coup d’œil nous dit qu’il n’est pas probable que ce soit là le siège du plus gros employeur du pays, ni l’endroit où l’on prépare et où l’on exécute le premier budget civil de l’Etat. Si cela était, la gestion ne pourrait pas s’attirer de louanges. On saura par d’autres voies qu’en effet, gens et argents sont gérés ailleurs, mais que cela n’empêche pas pour autant les reproches. Dans tous les cas, l’observation dans n’importe quel pays subsaharien est que les standards d’équipement et d’installation du plus gros employeur et du plus gros budget sont en deçà de ce que l’on peut voir d’éventuellement modeste, mais qui sied à des institutions dix ou cent fois plus petites – comme une entreprise de téléphonie ou de transport, par exemple.

Il serait dangereux de passer du vocabulaire du constat à celui de l’intention, nous ne dirons donc pas que les responsables politiques ou on ne sait qui d’autre ont voulu que les ministères de l’éducation ne fussent pas des institutions aptes à gérer de gros systèmes. Il reste cependant possible de se dire que, s’il n’échappe pas au visiteur naïf qu’une administration ainsi installée n’a aucune chance de remplir correctement son rôle, quel qu’il soit, il n’y a pas qu’à lui que cela n’échappe pas.

La seconde observation est tout aussi brute, mais négative. On ne trouve d’agents nulle part, mais seulement la hiérarchie, subalterne ou élevée. Cette armée est mexicaine, cela se voit dans l’architecture. Pas de bureaux de grande taille peuplés d’agents d’exécution qui traiteraient des dossiers en lots, mais des réduits exigus abritant des chefs de section ou de division, mais qui n’ont ni section ni division à diriger, et des bureaux de belle taille pour les directeurs et les directeurs généraux, parfois un secrétariat. Pas de bureau pour les routines.

En symétrie, on trouve beaucoup de monde dans les couloirs et dans les salles d’attente des directeurs et directeurs généraux. Du public, venu poursuivre un dossier, ouverture d’une école, d’une classe, affectation d’un maître, paiement en retard, ce qu’ils cherchent n’est pas marqué sur les visages. A vider sa salle d’attente, il faudra à chaque directeur tout ce qui reste de sa journée après les inévitables réunions, quoiqu’il réponde à ses solliciteurs. Quel temps lui reste-t-il pour conseiller les politiques ?

C’est donc là que ça se passe, la gestion réelle. Ce n’est alors pas une gestion par lots, propre d’une bureaucratie, mais une gestion relationnelle au cas par cas. L’absence de bureaux dédiés aux routines et la présence du public dans tous les services signalent l’imprécision des règles de la gestion.

La simple observation à l’œil nu, celle que peut faire le visiteur qui cherche son chemin ou attend son rendez-vous, nous dit que l’institution sera sans doute traversée de conflits récurrents de compétences, de la variété guerre des tranchées. Il n’y a en effet aucune raison générale pour que les solliciteurs, qui viennent assiéger le haut de la hiérarchie pour trouver une solution à un problème qu’ils ont fait personnel, soient très sensibles aux procédures ou aux attributions réglementaires des services ou qu’ils puissent être éconduits sur la base de ces seuls arguments. Le conflit viendra de ceci qu’il n’y aura presque que des décisions uniques ou exceptionnelles.

Ces observations se limitent à ce qui peut se voir sans avoir posé une seule question ni lu une seule ligne d’un rapport d’analyse. Ce que l’on peut en tirer a cependant du poids.

Une conclusion s’impose sur la mission des ministères, qui n’est clairement pas de diriger de gros systèmes selon une rationalité bureaucratique ou gestionnaire.

Une autre est qu’un travail d’analyse ou d’organisation qui avancerait sous le seul angle organique des choses (quelle compétence pour quel service) n’aurait pas de sens, ce dernier point étant du reste confirmé par le peu d’effet des réformes successives d’organigramme.

La dernière enfin est que si des conseils ou des partenaires souhaitent entreprendre des renforcements de capacités, cela ne prend du sens que sous une condition très matérielle d’installer de grands services dédiés aux routines de la gestion et organisés par des procédures et des outils, ainsi que sous une condition de travail sociologique visant à installer le pouvoir des hiérarchies dans d’autres sphères que celui de l’avantage personnel accordé de bon cœur ou sous la contrainte – peut-être dans la sphère de l’instruction des politiques, si elle avait du sens et du prestige ?

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