Abécédaire : les buchettes

Buchettes

Petits morceaux de bois ou d’un autre matériau servant à l’enfant de support pour le passage du dénombrement à la numération. L’enfant regroupe ses buchettes par paquets de dix et sépare ainsi les dizaines des unités. La buchette permet de nombreux exercices facilitant l’accès à la pensée symbolique, à la construction et à la manipulation des nombres. 

L’absence de buchettes ou d’un matériel apparenté dans un cours préparatoire est une alerte sérieuse sur la qualité de l’éducation.

Pourquoi certains maîtres de cours préparatoire n’ont-ils pas recours aux buchettes ?

Il peut y avoir à cela deux sortes de raison.

La première explication à l’absence de buchettes tient à l’organisation de la classe elle-même ou du temps de classe. Il existe un nombre maximal d’enfants au-delà duquel le maître, quelle que soit son talent, ne pourra pas faire en sorte que chacun manipule ses buchettes, soit observé et si besoin aidé dans ses exercices. Cet effectif maximal va de pair avec une installation spatiale permettant à l’instituteur, pendant ces séances, d’avoir accès matériellement à chaque enfant et à ses manipulations, ce qui implique au moins l’existence d’allées entre les places où les enfants sont assis. Hasardons quelques chiffres : il n’est pas raisonnable d’espérer trouver des buchettes dans une classe de plus cinquante enfants et de moins de soixante mètres carrés. 

L’organisation du temps de travail peut faire aussi disparaître les buchettes. Si, pour des raisons diverses (rentrée tardive, affectation tardive de l’instituteur, fréquence des interruptions, etc.) le temps de la classe est très réduit, le maître aura la tentation d’aborder la numération de façon magistrale, même avec un effectif raisonnable d’enfants. Au mieux, il gardera le réflexe de substituer aux manipulations de buchettes des inscriptions de bâtonnets à la craie sur des ardoises, et de regarder l’ensemble des ardoises à chaque opération. Mais le regroupement des unités en dizaines est moins aisé pour l’enfant et le rythme en est bien plus rapide, de sorte que ceux d’entre eux qui sont loin de la pensée symbolique lors de leur première année d’école perdront pied rapidement. On ne peut pas réduire indéfiniment le temps nécessaire pour passer du dénombrement à la numération.

La seconde explication à l’absence de buchettes tient au maître lui-même, soit qu’il ne sache pas que cette étape est indispensable et qu’il ne mesure pas la difficulté de l’accès à la numération, soit qu’il néglige la manipulation par facilité et par goût pour l’exposé magistral.

Les espoirs de capacités de calcul acceptables chez les enfants de fin de primaire seront minces si le passage du dénombrement à la numération ne s’est pas fait convenablement et en profondeur.

Pour une administration scolaire soucieuse de la qualité des apprentissages, la question des buchettes est d’une complexité redoutable. Supposons un ministère souhaitant améliorer les performances en calcul en prenant les facteurs de non qualité à leur base. Il faudra à ce ministère repérer les situations dans lesquelles l’apprentissage de la numération ne se fait pas dans de bonnes conditions, et agir, selon les cas, dans plusieurs dimensions : l’effectif des classes de cours préparatoire, les salles de classe, le temps scolaire (qui peut être trop réduit soit pour des raisons locales soit pour des raisons nationales), et la compétence professionnelle du maître, qui peut être améliorée soit par la supervision, soit par la documentation et l’équipement (guide, indications d’exercices et de temps nécessaires, feuilles de route etc.) soit par la formation. Pour avoir un sens, l’action de ce ministère ne sera pas la même pour toutes les écoles du territoire, mais plusieurs de ces leviers devront être actionnés en même temps. 

La buchette est un exemple d’un des rares intrants du processus éducatif qui soit gratuit et disponible sans effort partout où cela est nécessaire. L’observer nous montre que sa présence ou son absence (qui ne doit rien à une question d’argent : même gratuit, cet intrant ne se trouve pas partout, à la différence de la chicotte) ne peut pas être interprétée isolément – elle dépend de la combinaison d’autres facteurs que la buchette elle-même. Cette observation nous montre aussi qu’une politique de qualité impose de lever un par un tous les obstacles qui produisent localement de la non qualité et que cela requiert des actions multiformes dont certaines sont locales et d’autres non.