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République des tables-bancs
24 juin 2013

Abécédaire : politique

Politique

 

Adjectif ou substantif  chargé de lourdes connotations dépréciatives lorsqu’il est employé par l’homme de la rue. Il vient rarement sous la plume des hautes fonctionnaires mais dans leur bouche il peut valoir excuse pour leur abstention à agir (je n’y peux rien, c’est politique), voire revendication de l’impuissance (ne me demandez pas ça, c’est politique). Il faut dire que la langue française ne connaît pas la distinction radicale et britannique entre politics et policy, ce qui rend embarrassant l’emploi du seul mot que l’on a pour les deux.

On entend souvent s’exprimer le souhait de mettre l’action administrative à l’abri de la politique, c’est à dire à l’abri des influences dont la rationalité n’est pas technique.

Dans cette acception, le langage va trop vite et manque de précision. Ce qui est souhaité, ce serait plutôt de mettre l’action administrative à l’abri d’une façon de faire de la politique, le clientélisme. Le clientélisme naît dans les systèmes électifs, c’est une maladie de la démocratie qui minimise le principe de l’action au profit des intérêts particuliers et récompense ces derniers au poids de leurs capacités de relations et d’intervention. Chacun connaît le prix que payent les systèmes scolaires au clientélisme qui traverse leur gestion. Ici, ce sont des écoles créées hors des règles, là, ce sont des affectations mal justifiées, ailleurs, c’est une impunité excessive, à la fin, ce sont tous les ingrédients d’un beau désordre.

Il n’y a pas beaucoup de doute en effet qu’il serait profitable de mettre l’école à l’abri du clientélisme. On pourrait imaginer par exemple que les administrations ou les ministres puissent renvoyer leurs solliciteurs à leurs contradictions : le même notable aura demandé la même année que l’on ouvre une école en haute brousse, puis que l’on n’y affecte pas son protégé, qui préfère la ville ou au moins le goudron – quoi de plus simple que de lui faire observer l’incompatibilité des deux demandes.

 

D’autres moyens existent. L’extension de la participation des tiers aux décisions administratives prises en lots peut devenir un moyen simple d’éviter les plus fortes conséquences du clientélisme en l’instituant. Si les syndicats, les fédérations de parents et les municipalités participent ou seulement assistent aux affectations d’enseignants, prononcées en lots et à date fixe, le désordre sera diminué par la simple confrontation des intérêts ayant chacun la même capacité de représentation.

Mais si la question n’est pas si simple, c’est parce qu’il se peut bien que le clientélisme ne soit pas seulement la marque de fabrique de l’action politique. Il y a d’autres clientélismes à l’œuvre, c’est pourquoi « mettre l’action administrative à l’abri de la politique » n’équivaut pas à « mettre l’action administrative à l’abri du clientélisme », alors que ce dernier terme seul présente une vertu décisive.

Le clientélisme est plus grand que la politique, mais symétriquement la politique est plus grande que le clientélisme. Dans une acception du mot politique qui ne vise pas les moyens qu’elle emploie mais les fins qu’elle vise, mettre l’école à l’abri de la politique serait plus une voie pour l’étouffer que pour la faire grandir.

Les politiques scolaires subsahariennes ne sont sans doute justement pas assez politiques.

L’école est par nature un instrument de nombreuses politiques publiques et  les politiques qui la concernent la dépassent de beaucoup. L’aménagement du territoire, les politiques linguistiques et culturelles, par exemple, doivent beaucoup à l’école et c’est un grand tort des politiques sectorielles de ne pas se replacer dans une perspective plus large des fins des politiques de l’Etat. Dans une certaine mesure, l’expression « politique sectorielle » a l’aspect d’un oxymore, elle trahit chez certains la désir de rendre techniques des débats dont les termes sont politiques et dépassent le cadre scolaire.  

 

Ce n’est pas seulement pour des raisons scolaires que l’on décide de disperser les établissements au plus près des populations et la survie de l’école multigrade isolée en campagne dépend autant d’autres politiques publiques (transport, santé, équipement) que de la politique scolaire. Rien n’a été pire que de limiter la politique linguistique d’un gouvernement à ses aspects scolaires, comme cela a été le cas avec le bilinguisme en Mauritanie où l’école seule ne pouvait pas changer l’usage des langues.

Beaucoup de politiques publiques ont besoin de l’école ; symétriquement, le développement de l’école a besoin de beaucoup d’actions politiques qui ne se préparent pas au ministère de l’éducation. Les réformes des finances publiques ou de la fonction publique la concernent au premier chef, mais également les politiques du transport, de la santé, de l’habitat, de l’emploi.

C’est pour toutes ces raisons qu’il y a un ministre dans le ministère et qu’il siège au conseil. Ce n’est pas pour mettre l’école à l’abri de la politique, c’est plutôt mettre l’école au service du pays et les politiques du pays au service de l’école.  

 

 

 

 

 

 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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