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République des tables-bancs
24 juin 2013

Abécédaire, la chicotte

Chicotte

 

Férule du maître d’école, de forme et de matériaux variables : ceinture, corde, bâton de bois, faisceau de câbles électriques, courroie de ventilateur nouée, etc. La variété des réalisations montre qu’aucun modèle stable ou standard n’a été enseigné dans les écoles professionnelles d’instituteurs et que ces derniers ont de grandes capacités d’imagination pour surmonter la pénurie de matériel.

Le consultant scrupuleux confisque les chicottes trouvées dans les salles qu’il visite et les remet aux autorités. Le nombre de chicottes confisquées est en moyenne d’une par salle de classe.

L’usage des châtiments corporels est le plus souvent interdit par la réglementation nationale. De bonnes raisons président à cette interdiction.

Que nous dit la chicotte ?

La chicotte nous dit en premier lieu l’inconfort de la position du maître.

Cet inconfort peut être physique et matériel. L’effectif de la classe, conjugué au manque d’espace, à la poussière, à la sonorité et à la chaleur de la salle ont l’effet d’user vite les capacités de calme et d’attention des enfants, en même temps que la patience de l’instituteur. Il faut être resté une matinée entière dans une salle de moins de soixante mètres carrés peuplée par plus de quatre-vingt enfants d’âge variable de six à douze ans pour saisir ce que peuvent être la fatigue et l’exaspération de l’enseignant, qui, lui, est censé revenir le lendemain et de nombreuses fois dans l’année. Ceux qui ont cette expérience ne peuvent plus se cantonner à la simple condamnation de l’usage de la chicotte.

L’inconfort du maître peut aussi relever d’une sorte d’insécurité statutaire, linguistique ou intellectuelle. Quel est son prestige dans un lieu délabré et sale, dans une parcimonie allant jusqu’à l’économie rigoureuse des bâtons de craie, qu’il doit user jusqu’à ce que ses ongles crissent sur un tableau à la surface inégale, parce que même cela lui est compté ? Quelle est son autorité, sur quoi et sur qui peut-il la fonder ? La chicotte est l’aveu public et humiliant de sa faiblesse. Une sorte de S.O.S. lancé trop tard et sans destinataire.

La chicotte nous montre ensuite, par son interdiction, le divorce entre la règle et les faits – divorce assumé par tous, parce que la réalité est bien connue de tous. L’administration scolaire, à tous les étages, admet la persistance des pratiques interdites dans une sorte d’indifférence bouddhiste. Elle sait ou pense qu’on ne déplace pas des montagnes par décret. Il s’ensuit en échange une même indifférence de tous à l’égard des règles édictées sans espoir, ou même à l’égard des règles en général.

La chicotte, lorsqu’elle est justifiée par des pratiques sociales répandues qui veulent que l’éducation des enfants garde des aspects rugueux – que voulez-vous, c’est l’Afrique - , nous montre aussi que l’école n’est justement pas chargée de faire changer les pratiques ou les rapports sociaux. C’est une ambition qu’elle ne s’est pas donnée, alors que, naïveté ou pas, elle fut au principe des grandes révolutions scolaires, de Paul Bert à Bourguiba en passant par Atatürk.

Si l’on avait pris garde à la chicotte, on aurait peut-être mis quelques préalables aux réformes pédagogiques adossées à des pensées constructivistes ou participatives. Le tâtonnement constructif, l’erreur créatrice, son interprétation en termes de représentations en évolution, ne s’accommodent pas de la chicotte. Il y aurait beaucoup d’autres conditions au succès d’une réforme pédagogique, mais celle là est triviale. La chicotte nous dit de renoncer à l’évolution des pédagogies tant qu’elle perdure. Ce n’est pas forcément un drame en soi, l’école africaine a bien d’autres perspectives d’évolution que sa pédagogie, ce dernier terrain pourrait être encore différé.

Enfin, la chicotte et la résignation de tous à sa survie nous montrent, comme tous les objets du décor scolaire, comme l’ardoisine ou la buchette, que la chose ne peut pas être séparée de son contexte. Le tout est dans la partie qui est dans le tout. La chicotte est comme tous les facteurs de non-squalité, en ceci que son éradication réside ailleurs qu’en elle-même. Il n’est pas utile d’interdire de battre les enfants, ni même de promettre des sanctions à ceux qui le font, sans en même temps travailler sur la condition du maître. C’est la décence de ses conditions d’exercice (l’effectif, la salle – ceux qui ont mesuré l’absence de lien entre la qualité du bâtiment et la qualité de l’éducation se sont trompés, c’est certain) et la multiplications des symboles et des raisons de l’autorité intellectuelle et culturelle qui peuvent fonder un ascendant multiforme de sa part, puis des interdictions à son encontre et enfin des explications que l’on doit aux familles, pour finir par une sorte de droit de l’enfant à ne pas être battu – avec ou sans raison.

 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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