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République des tables-bancs
26 juin 2013

Abécédaire : l'aléa.

Aléa (coefficient R2)

 

Un morceau de bravoure de l’analyse sectorielle standardisée consiste à rechercher si, dans les écoles, le nombre d’instituteurs est proportionnel au nombre d’élèves. Sur un graphique, les analystes placent en ordonnée le nombre d’élèves et en abscisse le nombre d’instituteurs, chaque école du pays étant représentée par un point. Bien entendu, l’ensemble des points obtenus n’est pas aligné sur une droite, comme il le serait si la relation était bien proportionnelle. Au lieu de cela, on obtient un nuage de points qui évoque un beau désordre. Les situations aberrantes apparaissent avec clarté, telle école a plus de trois cents enfants pour un seul maître, tandis que telle autre, avec le même nombre d’enfants, en a seize.

Les analystes font alors un calcul très simple de régression linéaire, c’est à dire qu’ils ramènent à un coefficient simple l’écart entre la réalité et une situation imaginaire, dite un peu vite optimale, dans laquelle le nombre d’enseignants serait déterminé directement par le nombre d’enfants. On nomme ce coefficient de régression R2 et 1-R2 représente, dit-on, le degré d’aléa dans l’affectation des enseignants. On peut comparer cet aléa dans le temps ou d’un pays à l’autre et déterminer ainsi si la gestion des gens est plus ou moins désordonnée qu’ailleurs ou qu’avant. Quel que soit du reste le résultat de cette comparaison, les analystes concluent toujours que le ministère de l’éducation a de grands progrès à faire dans le gestion – sans suggérer toutefois comment il pourrait les accomplir.

Indiquons quelques précautions nécessaires pour relativiser cette analyse.

Du point de vue des mathématiques, ce calcul est étrange, dans la mesure où il fait comme si les variables étaient continues alors qu’elles sont à l’évidence discrètes. Il n’y a jamais de décimales dans le nombre d’instituteurs et cela n’est pas sans conséquence. Même dans un système scolaire géré selon des normes très rigides avec de seuils de dédoublement des classes exprimés en effectifs, deux écoles à l’effectif très voisin n’auront pas du tout le même nombre d’élèves par maître et plus les écoles seront petites, plus les écarts proportionnels seront grands. Opérer une régression linéaire de la relation entre les variables n’est donc ni prudent ni juste. La formulation austère du coefficient cache mal sa fragilité mathématique.

Du point de vue de la comparaison entre la réalité et une situation imaginaire, ce genre d’analyse va encore trop vite. Nul ne sait quelle serait l’allure d’une relation optimale entre le nombre d’enfants et le nombre de maîtres. La seule certitude est que cette relation n’a aucune raison d’être linéaire. C’est le choix des politiques que d’avoir équipé le monde rural en écoles, avec souvent des classes multigrades et des petits effectifs. Ce choix assume une certaine différence dans le ratio élèves par maître entre les villes et les campagnes. Il n’est pas possible de chiffrer cette différence, qui renvoie à la disparité des densités de population sur le territoire. Il n’y a donc aucune comparaison possible entre la situation réelle et une situation optimale, puisqu’on ne connaît pas cette dernière, pas plus qu’il n’existe de comparaison digne d’intérêt entre deux pays sur ce coefficient. La mesure dite de l’aléa est une mesure sans étalon, elle ne permet donc pas d’évaluer une politique ou la gestion d’un système.

L’analyse choisit le mot aléa pour nommer ce qu’elle perçoit comme une insuffisance de sérieux dans la gestion des personnels. Là aussi, le raisonnement est trop rapide.

La relation décrite met en jeu deux variables : le nombre d’enfants et le nombre d’enseignants dans une école. Seul le nombre d’enseignants est sensible à l’action administrative, sous quelques réserves. Le nombre d’enfants ne l’est pas. Or, les obserations de terrain montrent que l’effectif des écoles est souvent très instable d’une année l’autre ou même en cours d’année. L’ouverture d’une cantine, par exemple, remplit une école et vide sa voisine, et que dire des migrations internes puissantes qui mettent les familles et les enfants sur les routes. Il se peut donc que l’affectation des maîtres ne soit pas optimale, mais que l’administration n’y puisse rien – ou tout du moins, que ses capacités d’analyse de la démographie soient en défaut, plus que son talent dans la gestion des affectations.

Ces affectations, si elles sont rationnelles, suivent du reste en premier lieu les possibilités données par l’existence de salles de classe et après seulement les effectifs des enfants, puisqu’il n’est pas très utile d’envoyer un maître là où il n’y a pas de salle. Or, les programmes de construction ne suivent qu’avec retard l’évolution de la démographie, le retard étant d’autant plus grand que les financements sont rares. Une étude menée au Togo a montré que si la répartition des enseignants était très disparate en regard des effectifs des écoles, cela tenait au respect trop scrupuleux par l’administration de la règle « un maître par salle », à une époque ou le pays, presque privé de financements extérieurs, avait grand peine à construire.

La relation entre la dispersion du ratio élèves par maître et la gestion des personnels est donc ténue et indirecte. Il se pourrait d’ailleurs que la gestion des personnels soit de ce point de vue plutôt plus efficace que celle des intrants matériels. Dans tous les pays où le calcul est possible, on constate que l’aléa qui affecte le ratio « nombre de manuels par élève » est plus grand que celui qui pèse sur le ratio « élèves par maître », alors que la variable compliquée des salles de classe ne vient pas affecter la distribution des livres (et que les livres exercent peu de pressions pour obtenir une affctation qui leur convient).

Il y aurait lieu de proposer des analyses beaucoup plus fines de la répartition des maîtres entre les écoles. Ces analyses devraient être en relation avec les constructions scolaires et avec les connaissances disponibles sur les mouvements démographiques à l’œuvre dans le pays. Elles prendraient tout leur sens dans des modèles de micro-planification tenus à une échelle très locale. En termes de conséquences politiques ou de gestion, des analyses de ce genre ne déboucheraient pas forcément ou pas seulement sur une remise en cause de la gestion des personnels (qui, du reste, échappe dans une large mesure aux ministères de l’éducation, mais c’est là un autre sujet), mais aussi sur une réflexion plus large englobant les questions de génie civil et la gestion des inscriptions scolaires et des transferts.

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