Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
République des tables-bancs
4 juillet 2013

Abécédaire : le cahier

Cahier

Compagnon de l’ardoise, destiné à des usages plus nobles, plus normés et plus définitifs. Se remplit à mesure que l’ardoise se vide. 

Le métier d’écolier tient pour une grande part à la tenue et à l’usage du cahier. Le cahier est fait de rubriques alternées, tour à tour exercices, illustrations, décors ou vérités à savoir ; elles auront chacune sa forme et ses règles d’alternance. Il y a des dates, des annotations de l’instituteur, un visa du directeur et quelques-uns des parents. L’écolier a besoin de temps pour savoir tenir un cahier, plusieurs années, il ne l’apprend pas tout seul. S’il n’a pas en mains ce métier vers le milieu de son parcours primaire, il aura peu de chances d’en sortir par la bonne porte, il n’aura pas appris à aller à l’école ; qu’il n’y aille plus ou qu’il y reste aura perdu en importance.

Au cahier on reconnaît l’élève, aux cahiers la classe ou même l’école. Le cahier de fille se reconnaît au premier coup d’œil du cahier de garçon, sous toutes les latitudes. Le consultant expérimenté sait de la même façon distinguer le cahier d’une école privée de celui d’une école publique, sans possibilité de doute et sans examen approfondi.

Le premier est déjà plus fourni, il est daté de chaque jour, corrigé souvent, visé quelques fois. C’est un instrument individuel, pour l’élève, mais qui connaît des normes collectives. On sait à qui il appartient, quels sont le maître, l’école et la classe, parce que c’est marqué, solennellement, sur la première page. A le voir, on dirait qu’il pourrait servir, par exemple, à un enfant qui aurait manqué quelques jours d’école et voudrait savoir ce qui s’est fait. Il est bon à être conservé pour les mois ou l’année suivants, si par hasard l’enfant avait besoin de revenir sur quelques vérités qui ne lui seraient pas encore triviales.  C’est un objet possible de fierté, ou qui au moins porte la trace du respect que l’enfant porte à son travail scolaire et par là qu’il s’accorde à lui-même. Qui porte aussi l’avis qu’en ont les adultes. Plus tard, il pourrait même nourrir des nostalgies éventuelles.

Le second est souvent plus déconcertant, il ne faudrait pas qu’il serve à l’appui d’une demande de crédits nouveaux présentée par le ministère de l’éducation à celui du budget.

L’apprentissage du métier d’écolier n’est ni miraculeux ni induit. Dans sa part, importante, qui passe par la tenue quotidienne du cahier, il relève de procédés que l’école installe et régule. Il n’y aurait rien d’absurde à ce que ces procédés et les exigences à atteindre fassent l’objet d’instructions, de contrôles et de mentions dans les programmes scolaires, au même titre que les vérités à connaître ou la façon de les présenter. Cela serait d’autant moins absurde si l’on peut avoir des doutes, nourris par l’observation, sur la façon dont les écoliers sont guidés pour apprendre leur métier. Il reste étrange du reste que la modernisation des programmes faite sous la bannière des compétences n’ait pas choisi celle de tenir un cahier comme point de repère progressif et central pour les progrès dans la scolarité.

Des petites collections de cahiers sont le moyen le plus sûr, le plus simple et le plus économique d’évaluer ce qui se passe dans les écoles et ce que les enfants y font ou n’y font pas. Un premier regard donne une bonne idée du nombre de jours et d’heures de classe et de la régularité du temps scolaire. Le tracé des lignes nous dira s’il y a des tables et des bancs et si l’enfant aura passé assez de temps à perfectionner le geste d’écrire. Le résumé des leçons nous dira leur contenu et leur degré d’adéquation au programme et à l’âge des enfants, la place respective accordée aux différents apprentissages – y a-t-il du calcul tous les jours ?- ; il nous dira peut-être si le tableau est visible depuis le banc de l’enfant. Les tracés de la main du maître, du directeur et des parents nous indiqueront s’il existe, peu ou prou, un peu de suivi du travail. 

Qu’un ministre, un inspecteur général ou une revue du secteur se fasse de temps à autre apporter des lots de cahiers pris au hasard et à coup sûr les politiques et le dialogue sectoriel prendraient des directions inédites. Gageons qu’il pourrait s’agir de directions modestes, attachées à rendre digne, fructueux ou même beau le labeur quotidien des enfants qui construisent leur métier. Des directions qui enjoindraient de rester primaires, en quelque sorte.

Publicité
Publicité
Commentaires
République des tables-bancs
  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité