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République des tables-bancs
9 juillet 2013

Les carnets de voyage de Robert François : excursion au Trarza

 

C’était à Mederdra, un faubourg du Trarza, dans les jardins du hakem Omar. 

L’imagination des hommes politiques qui se sentaient investis des destinées de ce pauvre coin de sable avait réussi à faire craindre à tous que, peut-être, des fanatiques armés y préparaient un coup de main. On peut se perdre en conjectures en se demandant qui ment, qui feint, qui invente, qui fabrique, dans ces histoires sans fin de terrorisme au Sahel, toujours est-il qu’Omar, le préfet du lieu, osant à peine marquer une ombre d’incrédulité ou une once d’hésitation, m’avait collé sans appel deux beaux gendarmes, à l’arrière de ma voiture, pour repartir de Mederdra, riante localité, et aller où bon nous semblerait, aux termes d’un ordre de mission illisible que l’on m’avait remis à Nouakchott le matin même. Les ordres sont les ordres, un blanc vaut deux flics, environ.  

Aubaine pour les gendarmes, qui pourraient ainsi manger à l’œil tout le temps que durerait l’excursion, pour peu qu’ils retrouvent leurs chaussures sous un délai raisonnable, et se délasser un peu de la garde vigilante des bâtiments préfectoraux à laquelle ils s’adonnaient sans passion apparente depuis lurette. Embarras pour l’inspecteur en chef des écoles, que j’accompagnais, dont l’incurie allait ainsi percer les frontières administratives de son ministère d’accueil, et enrichir des conversations qui avaient bougrement besoin de renouvellement.  Chacun sait que, la vigueur des cancans suivant la raison inverse de la densité de population, il n’est pas prudent de laisser aux peuples sahéliens des occasions de médisance, c’est un des piliers des philosophies politiques locales en pays dunaire.

Nous nous étions donné la charge d’aller voir des écoles, si toutefois nous en trouvions d’ouvertes, afin de donner du corps à un rapport important quoi que routinier, destiné aux archives d’une grande banque de développement, qui me l’avait commandé pour une somme déraisonnable. La décence m’interdisait de chipoter de quelque façon que ce soit sur la subsistance des gendarmes, d’autant qu’à coup sûr, nous trouverions dans un village un fonctionnaire de rang subalterne qui se laisserait bien racketter d’un jeune mouton, pour peu qu’on lui promette de rapporter ses louanges à Mederdra. 

Trouver des villages n’est pas si facile. L’inspecteur en chef se faisait discret sur les indications pratiques, comme si nous méritions d’attendre encore un peu avant d’être tout à fait sûrs qu’il ne venait jamais dans son émirat. Les gendarmes regardaient le paysage comme une nouveauté infinie, commentaient le port des chamelles et la puissance du moteur, mais n’avaient pas d’opinion précise quand il fallait choisir entre deux pistes également improbables. Tout voyage mauritanien comporte à un moment, parfois long, cette période indécise quant aux routes et aux buts, sans laquelle il manquerait le petit rien d’hésitation entre l’absurde et l’inutile qui constitue la forme la plus pure de l’humour local. Bref, il fallait trouver des villages, et nous en avons trouvé quelques uns, des tout petits, faits de trois baraques, quatre tentes et une tentative de puits, des presque habités, d’autres occupés il y a peu. Vers midi, nous avons même trouvé un beau village en parpaings, riche de cent maisons, d’une dizaine de boutiques en tôle, d’un champ de foire, et bien entendu, d’une école. On ne peut pas manquer l’école, son mat, auquel aurait pu pendre le drapeau, qui aurait pu flotter s’il y avait eu du vent, ses murs à claustras poussiéreux, sa cour à peu près close, et son cimetière de tables, de ferrailles et d’armoires qui condamne l’accès aux latrines, inutile cadeau de la République. Ce qui lui manquait pour être tout à fait une école, c’était des enfants et des maîtres ; à dire vrai cette cour un peu triste se trouvait être l’endroit le moins fréquenté du village. Un peu désappointé, à défaut d’être surpris, l’inspecteur en chef donnait le change en relevant les traces d’occupation récente, des empreintes de savates, par exemple, pas encore effacées par le vent ou le sabot des chèvres. Nos gendarmes, ravis, contribuaient à l’enquête de façon professionnelle, relevant toutes les traces de vie possibles, une occasion de se montrer limiers que leur quotidien leur offrait rarement. De toute évidence, à les entendre, la désertion était récente, et par conséquent exceptionnelle.

Un gamin passant par là, sans doute par distraction, se fit héler et ordonner d’aller chercher les clefs, ce dont il s’acquitta sans manifester d’étonnement, en moins de temps qu’il en faudrait au thé pour refroidir.

Il en rapporta un fort trousseau, qui permit à l’inspecteur d’ouvrir tour à tour les six salles. Poussière, papiers gras et volants, restes de manuels ayant servi d’avant dernière demeure à des beignets, hiéroglyphes à la craie sur les tableaux qui auraient pu prouver que des leçons avaient été données pas plus tard que cette année.

Sur le premier bureau de maître, j’attrape une chicotte d’un modèle rare et perfectionné. C’est une courroie de ventilateur fendue au couteau dans le sens de la longueur, en trois brins d’un petit mètre environ ; à l’extrémité contondante, les trois brins sont réunis par deux nœuds, un gros et un petit. Monsieur l’inspecteur tente de s’agacer sur son téléphone portable tandis que j’examine l’objet. Ne sachant pas trop ce que les circonstances exigent (ce n’est pas dans mon manuel d’opérations), je remets la chicotte au plus âgé des deux gendarmes pendant que l’autre s’éclipse, hilare. L’appel téléphonique a certainement rencontré le vide (quoi d’autre ?) et nous arpentons la cour peu de temps après, dans la recherche d’un terrain de discussion acceptable par tous, l’inspecteur en chef, le gendarme et le nazaréen confus.

Le second gendarme nous tire adroitement de l’embarras. Bien vite, il a visité les cinq autres salles et rapporte cinq chicottes, une ceinture sans boucle, un faisceau bien tressé de câbles électriques, section 2,5, une cordelette nouée, un roseau fendu à l’extrémité, un mètre de tuyau d’arrosage jaune. Il les remet gentiment à l’inspecteur : « Inspecteur, il ne faut pas taper les enfants. ».

 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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