Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
République des tables-bancs
11 juillet 2013

Abécédaire : sectoriel

Sectoriel

Le mot qualifie les analyses des faits éducatifs dans un pays et les programmes politiques qui s’y rapportent. L’emploi régulier de cet adjectif traduit un accord assez explicite et vieux d’une grande dizaine d’années, aux termes duquel les pays bénéficiaires de l’aide internationale établissent à l’appui de leurs demandes des plans de développement couvrant toutes les formes d’éducation moderne, des classes enfantines aux universités, même si les bailleurs dirigent leurs fonds d’abord sur l’école primaire.

Les meilleures raisons du monde plaident pour cette démarche, ou du moins plaidaient pour elle pendant la décennie 90 et jusqu’au cadre d’action de Dakar en 2000. Les jardins d’enfants, les écoles primaires et secondaires, les universités, instituts et centres de formation partagent en effet une gouvernance commune et surtout des financements, à première vue fondus dans la même enveloppe budgétaire. Ils en commun surtout des étudiants, encore que chacun d’entre eux vit au mieux une succession de formes scolaires diverses plus qu’un partage. Mais l’ensemble des étudiants, vus dans des tableaux qui intègrent le temps, constitue aussi un ensemble de flux dont la gestion se partage, dit-on, entre les différents segments de la scolarité. Tout cela fait plus ou moins système, si l’école primaire s’enrhume, l’université éternue et c’est pourquoi leur sort doit être réfléchi de concert.

Voilà des raisons bien technocratiques, auxquelles il faut en ajouter de politiques, à chacun de juger lesquelles sont les plus vraies ou les plus puissantes. Nous sommes aujourd’hui accoutumés aux slogans de l’éducation pour tous, à un tel point qu’ils nous semblent représenter quelque chose d’indépassable, peut-être d’éternel, une sorte d’utopie naturelle et légitime. Pourtant, ce n’était pas l’idée première des politiques de l’éducations africaines au moment des indépendances. L’utopie naturelle des années 60 et 70 était de faire naître une élite africaine qui donnerait du sens aux indépendances, en permettant de remercier au plus vite les technocrates blancs dont la présence et l’utilité restait massive, parfois même critique 

Elle était aussi de tourner le dos à l’école coloniale, instrument de domination, en africanisant l’éducation pour en faire un instrument d’affranchissement et d’épanouissement autochtone. Du moins, cela s’est dit – aujourd’hui encore, un intellectuel comme Moussa Konaté regrette que cela ne soit pas advenu. Bref, il fallait des universités, des licenciés et des docteurs, des nouveaux programmes et des nouveaux livres.

Le virage de l’éducation pour tous chanté depuis la conférence de Jomtien avait donc quelque chose de douloureux et d’improbable. C’est sous sa bannière que l’argent devait désormais aller vers les écoles primaires, à construire aussi vite que possible au profit des villageois et des broussards, qui ne formeraient jamais une élite africaine mais allaient simplement apprendre à lire.

L’examen des finances de l’éducation étendu à un ensemble sectoriel vient du caractère hasardeux de ce virage politique. L’université devenait sans préavis une menace financière qui hypothéquait l’éducation pour tous et c’est pourquoi il fallait examiner chaque budget au regard l’un de l’autre.

Quel sens tout cela prend-il en 2013 ?

Il est devenu fréquent, sinon général, que la gouvernance de l’éducation se soit morcelée en trois, quatre ou cinq ministères, soit que les effectifs aient tellement grandi qu’on y a vu une nécessité de l’administration, soit que le multipartisme électoral ait conduit à multiplier les positions de Ministre (soit les deux). Celui qui décide pour le lycée ou l’université n’est donc plus celui qui décide pour les écoles primaires. Du coup, les budgets ne sont plus un, il ne va pas de soi qu’un franc de plus pour les facultés coûte exactement un franc de moins pour les écoles. Du moins, le partage des fonds publics entre les cycles scolaires est certainement plus compliqué qu’un jeu à somme nulle.

Restent les flux, sans nul doute communs à tous les établissements d’éducation, qui se les passent d’amont en aval et d’année en année. Chacun sait que les flux vont mal et ce de deux façons : trop d’étudiants n’attendent pas la fin de leurs études pour les quitter, tandis que trop de ceux qui ont fini un cycle vont dans le suivant, au risque de l’étouffer lorsque l’argent manque. Mais chacun sait aussi que, gouvernance unique ou éclatée, les flux se laissent mal gérer. Il est tout aussi difficile de retenir un étudiant qui n’a pas fini que de l’empêcher de poursuivre s’il s’en est sorti jusque là. C’est que l’éducation est autant une affaire de fait social que de planification, les gens font bien ce qu’ils veulent à la fin, ils entreront à trois cents dans une salle de cinquante sans que le gardien des portes y puisse mais.

Si l’on n’était que technocrate, d’une variété réfléchie, on pourrait donc plaider pour que les programmes politiques ne se martyrisent pas à rester à tout prix sectoriels. Du point de vue de la technique, de l’administration et de la planification, ce n’est pas l’essentiel.

Mais soyons un peu politiques en même temps qu’observateurs. Les politiques d’éducation pour tous ont produit leurs effets, et parmi ceux-ci, quelques uns de collatéraux. En allant vite pour orienter l’argent vers les écoles, sans savoir dans le même temps limiter l’accès aux lycées et aux facultés, on a un peu étranglé ces derniers, qui n’ont pas vu d’argent frais depuis deux décades, de sorte qu’il serait bien temps que la politique s’en mêle. C’est par effet de système qu’ils ont souffert, c’est alors par une réflexion qui les dépasse qu’ils peuvent espérer se faire entendre. 

Publicité
Publicité
Commentaires
République des tables-bancs
  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité