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République des tables-bancs
24 juillet 2013

Abécédaire : la gratuité

Gratuité

Souhaiter la gratuité de l’école consiste à vouloir que l’enfant n’ait rien à payer,  mais non à espérer que l’effort qu’il y fournit reste gratuit, sans autre récompense que lui-même. A y bien réfléchir, il se pourrait que les deux sens du mot n’aillent pas l’un sans l’autre. L’école délivre certes des connaissances utiles, mais pas seulement, elle demande aussi un peu de réflexion gratuite, qui ne se remboursera que plus tard et pas toujours, elle enseigne un peu que la gratuité de l’effort paye en elle-même – alors, il faut bien pour cela qu’elle ne coûte pas trop cher.

Ne pas faire payer l’écolier n’est pas une fin en soi. C’est une condition qui permet à l’éducation de devenir un droit au sens sérieux du terme, une créance de chaque enfant sur la collectivité, qu’aucune dette d’argent ne vient amoindrir ou rendre illusoire. Il en résulte que la gratuité s’arrête avec le droit, au moment hélas imprécis où l’éducation ne relève plus du droit mais de l’investissement, de la stratégie de la personne ou de l’Etat. Si l’on dit que l’éducation de base est un droit, mais elle seulement, il faut considérer que l’enseignement supérieur, par exemple, ne peut pas être gratuit sans être injuste. Il ne le serait pas, puisque financé par tous il ne profiterait qu’à quelques uns, bénéficiaires trop nets de la redistribution d’argent public. La gratuité n’est juste que pour les parties de l’école que tous sont censés fréquenter. On sait faire autrement pour assurer que toutes les chances d’apprendre à l’Université n’aillent pas aux seuls plus riches du pays : une sélection loyale et des bourses décentes pour les moins fortunés garantissent l’égalité dans l’accès, sans faire de ce dernier un droit et encore moins une gratuité.

Cette frontière posée, il faut encore en chercher une autre. A l’école pour tous, qu’est-ce qui doit être gratuit ? Chacun s’accordera sur la prohibition des droits d’inscription, quel que soit le faux-nez sous lequel ils se cachent et seraient-ils payés à l’association des parents plutôt qu’à l’école. On observera ici que la question la plus compliquée, pour supprimer ces frais, est d’avoir un système de distribution de petits argents en direction de toutes les écoles – toujours cette fameuse dépense courante hors salaire dans les périphéries, cette question mal résolue. Faute de cela, l’école est paralysée dès l’usure du premier bâton de craie et les frais déguisés (les pires, parce qu’inconnus, injustes, incontrôlés) réapparaissent. Avancer vers la gratuité est un très long chemin, qu’un ministère de l’éducation ne peut pas parcourir seul. Il faut créer et faire fonctionner des circuits financiers très étendus capables de porter des petites sommes d’argent, en limitant l’emploi d’espèces et en ouvrant des possibilités de contrôle – souvent, c’est presque la nécessité d’une révolution dans les procédés de l’argent public. Faute de patience, des ministres ont proclamé la gratuité des écoles sans avoir ces circuits, personne ne les a crus.

Au delà des frais d’inscription, autant de débats que de dépenses. Quid du coût des actes d’Etat civil requis pour l’inscription ? Quid des manuels, des cahiers, des ardoises, des uniformes ? On ne sait pas arrêter la liste parce qu’il existe toujours des enfants pour qui l’école très gratuite est encore bien trop chère. Employer des adjectifs comme direct ou indirect pour décider des frais qui doivent disparaître est une argutie qui ne trompe personne et surtout pas les parents qui payent.

Les discussions sont utiles à ces sujets, chacun sachant que les finances publiques ne peuvent pas tout et qu’il serait injuste de tout offrir aussi aux riches. Un terrain semble rester mal exploré est celui des organisations collectives et privées, éventuellement aidées par l’argent public pour démarrer ou se garantir. La coopérative, sous ses multiples formes, est un moyen de relayer les financements publics là où, par nécessité, ils arrêtent de couvrir les dépenses. Fournir des ardoises, des cahiers, des uniformes, des craies, des crayons moins chers qu’à la boutique et avec, pourquoi pas, des gratuités discrètes au sein des groupes d’enfants, y trouver l’occasion d’une activité collective spontanée, voilà un rôle à prendre pour des coopératives, encore peu nombreuses en Afrique.

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