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République des tables-bancs
2 octobre 2013

Abécédaire : la banlieue

Zone intermédiaire en construction, la banlieue mendie sa place dans cet abécédaire,  absente qu'elle est des documents savants, analyses ou politiques.

Les analyses et statistiques restent campées sur la division du monde entre villes et campagnes. C’est que les chiffres ont le goût d’attraper ce qui est, un état des choses, tandis que la banlieue est mouvement. C’est l’endroit qui se construit parce que des gens arrivent, sans être du reste attendus.

Les statistiques scolaires sont pourtant pleines des réalités de la banlieue. Prenez une base de données scolaires quelconque dans un pays d’Afrique de l’Ouest ou centrale, sous la seule condition qu’elle ait été tenue six ans de façon continue. Calculez des taux de survie par école, triez les en ordre décroissant. Vous verrez en haut de la liste des taux de survie vertigineux, bien supérieurs à 100 %. Ces taux appartiennent surtout à des écoles de banlieues, banlieues des capitales ou des grandes villes de province. (On trouve aussi quelques bourgs traversés par un goudron d’importance.)

C’est bien clair, des enfants sont arrivés sans être attendus. Vous pouvez faire ça à Lomé, à Conakry, à Cotonou, à Yaoundé, où vous voulez, ça marchera. Après les calculs de taux de survie, retournez à la base et comptez les salles et les maîtres, si cela ne suffit pas à vous convaincre, allez sur place et vous aurez l’idée de ce qu’est une école de banlieue au début du XXIème siècle. Vous saurez le sens de l’adjectif pléthorique dont raffolent les documents et statuts scolaires de facture classique. Vous changerez d’avis sur l’ordre des priorités à tenir, vous saisirez un petit bout du pourquoi de l’effondrement des résultats aux tests ou examens. 

Le mouvement a de quoi étonner, ou inquiéter. Des démographes dessinent, pour 2050, une gigantesque banlieue côtière joignant plus ou moins Douala à Dakar. Combien d’enfants là dedans ? On doit pouvoir le calculer. Cela pourrait avoir un peu d’utilité, quand il s’agit de construire des écoles. Nous serons loin de la bonne vieille carte scolaire, avec ses normes d’édification que personne du reste n’a jamais respectées. Pas besoin de savoir si les populations sont déjà là, bien sûr elles le sont et le seront plus encore. Une seule politique, et pas besoin de carte scolaire : réserve foncière dans tous les azimuts, à 10 ou 20 kms des zones déjà denses, et constructions préventives, des grandes, larges et belles écoles de vingt-quatre classes. Elles seront pleines avant d’être livrées. Les fonds seront épuisés, mais s’il en restait, on pourrait toujours les distribuer à la vieille façon des cartes scolaires, avec des calculs compliqués sur des taux de scolarité inexacts. La carte scolaire essayait plus ou moins de suivre les populations, avec une certaine maladresse d’ailleurs. Maintenant, mieux vaudrait les précéder.

Ce n’est pas tout. La banlieue n’est ni ville ni brousse et le banlieusard n’est plus broussard et ne sera pas citadin de sitôt. Il a migré, ce n’est plus le même. La famille a fondu, les multiples tontons et anciens ne sont plus sur place, il n’y a plus le regard du village sur la foule des enfants qui sont à tout le monde, les parents se déplacent pour aller travailler. Et donc, tout change pour l’enfant qui finit le primaire, mettons vers douze ans, si tout s’est bien passé. Où ira-t-il si le collège ne veut pas de lui parce qu’on sélectionne à son entrée ? Au village, il se débrouille. Il s’insère, dit-on, c’est à dire qu’il va travailler, au champ, à l’atelier, au commerce. S’il traîne, c’est en brousse et ça se saura d’ailleurs vite. En banlieue, c’est plus difficile. Ne pas le garder encore quelques années à l’école, ce serait pousser au crime. C’est ainsi que la fameuse éducation de base de neuf ou dix années n’est ni chimère ni choix – c’est avant tout une simple nécessité qu’a inventée la banlieue. 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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