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République des tables-bancs
25 juin 2013

Abécédaire, l'impact

Impact

 

Au sens littéral, l’impact est la trace d’un choc. Il s’agit d’un effet subi, non désiré et circonscrit. Il est donc un peu étonnant d’avoir vu ce mot s’imposer dans les documents technocratiques, avec une connotation positive, pour désigner les effets recherchés des financements extérieurs sur un système éducatif.

Si ce mot est employé avec une telle constance, c’est parce qu’il évoque le caractère direct du lien entre le financement et son effet, tout en même temps que le caractère isolable, visible et même mesurable de cet effet. C’est aussi parce qu’il renvoie à un courant contemporain de la pensée statistique (pour autant que cette formule ne soit pas un oxymore) qui promeut les « études d’impact », mettant en relation de calcul des intrants et des produits, et recherchant, pour un produit donné résultant de plusieurs intrants, lequel a le plus d’importance et lequel a créé le plus de produit avec le moins de dépense.

C’est ainsi que les calculs cherchent à établir une relation entre les performances scolaires des enfants, mesurées par des tests, avec les principales dépenses de l’école : le salaire du maître (et par là, son statut), le manuel scolaire, la salle de classe, les affiches murales, etc.

Trois raisons élémentaires au moins mènent pourtant à une certaine méfiance vis à vis de ce genre de calculs. 

Tout d’abord, la performance d’un enfant, mettons de onze ans, ne dépend qu’en partie des conditions où il se trouve au moment où on le teste. A onze ans, il a pu avoir déjà quatre ou cinq instituteurs successifs, fréquenter deux ou trois écoles, etc. Si l’on prend un groupe d’enfants dans une école, ce groupe sera composé d’enfants au passé scolaire différent (beaucoup d’entre eux ont été transférés d’une école à l’autre), il n’est donc pas très sérieux d’agglomérer leurs résultats pour en faire des moyenne ou en calculer la dispersion, il est encore moins sérieux de mettre ces résultats en relation avec les conditions observées au moment de la mesure.

En second lieu, ces calculs évincent un peu vite l’hypothèse pourtant vraisemblable selon laquelle un des intrants ne produit des effets que combiné avec tous les autres.

Dans une classe de cours préparatoire de 140 enfants,  quelle signification peut avoir la mesure de l’impact de la qualification du maître sur les résultats des enfants ? Il n’y a pas besoin de mesurer, le résultat, évidemment l’absence de relation, est connu d’avance.

En troisième lieu, cette mesure nie le fait qu’il est rare que l’ensemble des intrants utiles soit présent au même moment sur le même lieu. Le plus souvent, s’il y a un maître qualifié, il n’y a pas de tables, s’il y a des tables, il n’y a pas de tableau, ou il n’est pas lisible, s’il y a un tableau il n’y a pas d’horaires, etc. Il est rare de voir des écoles avec des effectifs raisonnables, un corps enseignant raisonnablement stable, des tables bancs en quantité suffisante, des tableaux propres, des ardoises et des manuels, des horaires réguliers. A moins d’être réalisée dans des écoles exceptionnelles, la mesure ne porte que sur des situations qu’il faut bien qualifier d’anormales, même si elles sont courantes, en ceci que l’on ne croit pas vraiment que ce lieu soit fait pour apprendre.

La recherche de l’impact ressemble à une quête naïve et impatiente. Les études d’impact permettent de croire qu’il sera possible de trouver une astuce pas chère grâce à laquelle, en modifiant un peu la distribution d’un intrant particulier, on améliorera sensiblement le comportement du système. Une sorte d’effet papillon. On comprend que cela soit très séduisant pour les responsables des agences de développement : leur succès personnel et professionnel est à la portée de cet impact qu’ils cherchent avec tant de soin. La photo plus haut montre en quoi cette recherche est vaine.

A y regarder de plus haut, l’impact se place en retrait des raisonnements complexes formulés au vingtième siècle. Il signe un raisonnement causal, ce dont la pensée systémique et la pensée complexe ont montré les limites. On remarque que le mot systémique, employé du reste sans retenue et sans précision il y a encore une dizaine d’années, a disparu de la littérature technocratique plus contemporaine, à mesure que l’impact tissait sa toile.

Edgar Morin avait écrit « le tout est dans la partie qui est dans le tout ». Il y a tout le Tchad dans tout ce que l’on voit dans la salle de classe de N’Djamena.

Le tout est dans la partie : il n’y a pas d’intrants. Même la craie n’est pas neutre, elle est tchadienne, elle est arrivée là par des procédés tchadiens (un marché, un achat, une logistique) qu’il serait bien utile de connaître et d’étudier – surtout si, en fait, il n’y a pas de craie. Il y a tout le Tchad dans le maître : l’instabilité de son affectation, qu’il va tenter de gérer par son réseau relationnel, son insécurité linguistique, ses problèmes de fin du mois et de transport, ses relations avec sa hiérarchie, avec les enfants et les parents. Isoler sa qualification ou ses diplômes, au sein de ces caractères, n’a tout simplement pas de sens. Il se pourrait bien que son souhait d’obtenir une autre affectation, ou non, son degré d’insécurité linguistique, aient autant d’importance que son diplôme – bien entendu, c’est un peu plus difficile à chiffrer. 

Et la partie est dans le tout : l’instituteur est dans la salle de classe, et pas en apesanteur. Mettez-le dans une autre salle, ce sera un autre instituteur.

L’impact est le vocabulaire d’une équation causale et abstraite qui ne nous apprend rien – pire, qui nous fournit une excuse facile pour ne pas observer.

 

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