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République des tables-bancs
18 décembre 2014

Pénurie de profs de maths (2) : peut-on se passer de profs de maths ?

A mesure que la fréquentation des écoles primaires progresse, les cohortes de jeunes qui frappent en chœur aux portes des collèges se font massives. Ce ne sont plus des flux, comme disaient les planificateurs des anciens temps, ni des vagues, mais des sortes du tsunami.

Ces jeunes ne sont plus des enfants, ils ont douze ans et plus. Beaucoup sont citadins et plus encore sont banlieusards. Leur chance de prendre part aux activités traditionnelles de leur famille au village ou au quartier s’amenuisent à mesure que la ville grandit et se fait anonyme. Nul n’a pourtant envie de les laisser à la rue et donc, les autorités ouvrent bon gré mal gré les portes des collèges, même dans les pays qui y sont le moins préparés et où les argents disponibles n’y suffiront pas.

Il se trouve qu’au collège, par tradition, on fait des maths, avec des profs de maths, si l’on en trouve.

Le temps semble venu de contester cette tradition, que nos tsunamis ont déjà fortement ébranlée par ailleurs et de toute façon. 

Proposer des maths au collège prend un sens sous deux conditions. La première est que le collégien ait été préparé à les recevoir, avec une culture un peu sérieuse de l’arithmétique, même simplement fondée sur une sorte de foi du charbonnier accordant une valeur quasi divine à des algorithmes appris plus que compris. La seconde est qu’il fera des mathématiques longtemps, jusqu’au lycée et si possible au delà. En effet, l’abstraction par laquelle on met des problèmes en équations, ou celle par laquelle on se sépare du sentiment que les nombres sont naturels et que leur appréhension tombe sous le bon sens, sont des chemins mentaux coûteux et surtout peu rentables si l’on n’a affaire qu’à des problèmes triviaux ou simples.

L’investissement intellectuel que ces abstractions représentent n’aura de sens que dans une perspective mathématique un peu raffinée, quand il faudra résoudre des équations du second degré ou des systèmes d ‘équations, faire de la géométrie dans des espaces non naturels, passer sans cesse de formes algébriques à des idées géométriques. Si l’on a que des affaires de proportions simples, au premier degré, comme des taux d’intérêt, ou des représentations géométriques à l’échelle, des affaires de triangles où l’on prend appui sur les angles pour mesurer des longueurs, alors il n’y a pas besoin de beaucoup d’abstraction : l’arithmétique et son ami le dessin y suffiront amplement.

Il est donc très clair que le seul intérêt attaché à l’apprentissage des mathématiques au collège est de le poursuivre au lycée ou à l’université.

C’est justement ce que ne feront pas la plupart des enfants qui entrent aujourd’hui dans nos collèges africains. Il faudra que nous nous estimions heureux s’il en reste un sur trois dans les classes à seize ans et, tant que les argents disponibles et les structures de l’emploi seront ce qu’ils sont, c’est sans doute bien ainsi. Pour la plupart des nouveau collégiens, le cycle sera terminal et les mathématiques, dans leur abstraction commune, sont un investissement sans utilité.

Du reste, la culture arithmétique que les nouveaux collégiens apportent en arrivant des écoles primaires, on le sait, est pour le moins fragile et fragmentaire. Ils ont étudié au mieux dans de mauvaises conditions, au pire dans des conditions abominables. Le nombre d’heures n’y était pas, pas plus que les manuels, et souvent cent enfants ou plus se partageaient des classes surchauffées, poussiéreuses et bruyantes – des rangs du fond, personne ne pouvait lire le tableau. C’est à peine s’ils sont à l’aise avec des algorithmes élémentaires, il ne leur faut pas trop de virgules, ni de divisions, l’idée de proportion reste étrangère à la plupart d’entre eux. Personne n’a jamais pensé à les faire dessiner de sorte que les idées qu’ils ont de la géométrie, des échelles ou des projections restent coincées dans les limbes. Même le système métrique des poids et mesures ne leur a pas livré l’ensemble de ses charmes et de ses utilités. 

Cela nous donne deux raisons pour épargner les souffrances des mathématiques à nos nouveaux collégiens et leur réserver en échange les joies de l’arithmétique, trempées dans quelques bonnes mesures de dessin.

Il se trouve qu’arithmétique et dessin sont à la portée des instituteurs de l’école primaire ou d’à peu près n’importe quelle variété d’enseignant. Il se trouve aussi que la plupart des pays de la planète qui ont connu la poussée des cohortes vers les collèges ont réagi en mobilisant en masse pour cela des enseignants du primaire, par promotion. Il se trouve enfin que cette affaire diminuerait opportunément la dépendances des écoles africaines vis à vis des profs de maths. S’il en manque, gardons-les pour les lycées où l’on ne saura pas s’en passer.

 

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  • Blog à deux voix. Celle de François Robert, consultant indépendant en éducation. Celle de Robert François, voyageur fasciné par le continent noir. Ces deux voix parlent de l’Afrique et de son école, mais pas seulement.
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