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République des tables-bancs
16 septembre 2013

Rendons grâce à l'Unicef, car nous pouvons la critiquer, 2 : l'éducation est un droit

Il faut rendre grâce à l’Unicef de nous épargner les prêches inquiétants qui voudraient que l’éducation soit une question d’intérêt, un moteur de croissance ou un accélérateur de développement. Ces prêches se trouvent partout, il n’est pas utile de les recopier.

Il est clair que les dépenses d’éducation peuvent se justifier en partie par ceci qu’un jour, elles vont rapporter, peut-être à celui qui étudie et en tout cas à la collectivité. Mais on voit mal que cela donne une base ferme à l’éducation pour tous : qu’allez-vous faire des trisomiques, qui ne seront jamais rentables, les éduquerait-on cent ans ?

Imaginons que des économistes nous disent : « en Afrique, le développement a besoin de 75 % de jeunes alphabétisés et parmi eux, de 25 % de détenteurs de qualifications intermédiaires accessibles depuis un cursus secondaire. » C’est assez plausible, les économies africaines n’ont aucun besoin d’une main d’œuvre  systématiquement alphabétisée, eu égard à l’état des techniques. Il vaudrait mieux alors laisser ceux qui ne vont pas à l’école pour ce qu’ils sont et dépenser l’argent qui reste à former des cadres moyens. Quelle est notre position si ce raisonnement économique d’optimisation est exact ou plausible ? Le mieux est de chercher ailleurs que dans la croissance ou le développement la raison de faire tant d’efforts pour emmener tous les enfants à l’école.

Rien de mieux que le droit. Le droit se suffit à lui-même. Le prendre au sérieux, c’est admettre que le droit vaut même s’il ne rapporte rien à la collectivité, même s’il lui nuit. C’est ce qui distingue le droit de la stratégie, nous a enseigné Ronald Dworkin. Précisément, l’éducation n’est pas une stratégie pour une autre fin, elle est elle-même sa fin, elle est un droit. Aujourd’hui, l’Unicef est bien seule à ne pas dévier de cette idée pourtant simple et qui permet du reste de ne pas détacher l’éducation de la situation juridique de l’enfant et de sa protection à tous égards, ce qu’un raisonnement par l’économie permet mal.

Encore faut-il que les droits soient définis avec assez de soin pour qu’on puisse les prendre au sérieux. L’Unicef fait grand cas de la convention internationale des droits de l’enfant 1989. Commençons ici à la critiquer.

Cette convention est un bel exemple de texte qui ne se prend pas au sérieux lui-même. Il consacre, dans son article 14, la liberté de conscience des enfants, à laquelle personne n’adhère sincèrement et qui ouvre à tous les dangers. Même les états qui punissent le blasphème ou l’apostasie ont ratifié cette convention : comment mieux dire que personne n’y croit ?

Quant à l’éducation, c’est bien simple, pour la convention de 1989, tout est droit dans son article 28, sans que l’on démêle avec clarté le primaire du secondaire. Il y a bien un moment pourtant dans les scolarités où la règle « que chacun apprenne et réussisse » devient « que les meilleurs restent » et ce moment là marque la fin du droit – qui se cantonne à garantir alors la loyauté dans la sélection. Mais si tout est droit, comment va-t-on garantir un minimum pour tous ? L’éducation est un droit pendant un certain temps, puis une stratégie de service public destiné à d’autres fins que la personne qui la reçoit.

L’autre limite tient à l’usage que l’on peut faire des droits. L’Unicef, agence onusienne, a sa réponse : le droit est un élément d’analyse et une base de plaidoyer vis à vis des gouvernements. La réponse correspond bien à la nature de l’institution, elle est pourtant bien incomplète. La force d’un droit pris au sérieux, c’est le juge, rarement saisi en Afrique subsaharienne. C’est arrivé : une association a fait condamner la République du Nigéria par un tribunal de la CDEAO[1], des enfants ayant été privés faute d’accueil du droit constitutionnel à l’éducation. Mais ce genre de procès est rare (unique aujourd’hui, à ce qu’il semble), pour que des procès fleurissent, il faudrait un peu d’activisme que l’Unicef n’est pas en droit se susciter. Sur le terrain des usages sociaux du droit, une agence onusienne ne peut agir sans alliés, mais le droit sans usage a un petit goût de rhétorique incomplète.

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